L’assouplissement de l’Ordonnance sur le matériel de guerre, tel que prévu par le Conseil fédéral avant l’abandon du projet, aurait eu plus d’effets que le gouvernement ne voulait l’admettre.
Par Magdalena Küng
Il ne s’agit que d’une retouche, dit le lobby des armes à feu. Pourtant, l’industrie de l’armement
affirme que de nombreux emplois seraient perdus sans ce changement. Le Conseil fédéral, quant à lui, estime que c’est l’ensemble de l’industrie suisse de l’armement qui serait en danger si l’Ordonnance sur le matériel de guerre (OMG) n’était pas révisée. L’impact des modifications prévues semble varier considérablement selon le groupe cible qu’il s’agit de convaincre. Il est donc grand temps de regarder cela de plus près.
Des armes dans les pays en guerre civile
Le nouvel assouplissement prévoit que des autorisations d’exportation puissent également être examinées pour des pays impliqués dans des conflits internes. Il s’agit là d’un point fondamental.
Aujourd’hui déjà, la pratique du Secrétariat d’Etat à l’économie (SECO) en matière d’octroi d’autorisations est relativement éloignée de ce qui est prévu par la loi et dans l’Ordonnance.
L’un des problèmes concerne le processus d’approbation : le SECO décide pratiquement seul
de l’octroi des autorisations. Le Département fédéral des affaires étrangères (DFAE) est également
consulté en fonction de l’importance financière et de la destination des exportations. Si le SECO et le DFAE ne parviennent pas à un accord, c’est au Conseil fédéral de trancher. Or, les nombreux scandales de ces dernières années montrent bien que ce système ne fonctionne pas, puisque du matériel de guerre a été retrouvé dans des pays différents de ceux dans lesquels il avait été livré. De plus, des armes ont été livrées dans des zones où l’on peut s’attendre à ce qu’elles soient directement utilisées. Le dernier cas en date : des fusils de précision dans l’État indien de Mizoram, une région où divers groupes sont impliqués dans des combats. Comment une telle autorisation peut-elle être compatible avec le texte de l’OMG, qui interdit les transactions «si le pays de destination est impliqué dans un conflit armé interne ou international » ?
L’autre problème est que deux interprétations délibérément erronées servent de fondement aux décisions d’exportation. En 2016, le Conseil fédéral a décidé que le critère d’exclusion de la guerre civile ne devait s’appliquer que si le conflit se déroulait sur le territoire du pays de destination. Concrètement, cela signifie que des armes peuvent être livrées à l’Arabie saoudite, par exemple, même si ce pays est impliqué dans la guerre au Yémen.
Le Conseil fédéral a justifié cette décision par une autre hypothèse erronée, à savoir qu’il existait
des armes qui ne pouvaient pas être utilisées dans un conflit interne. Pourtant certaines armes, les canons de défense contre les avions par exemple, peuvent tout à fait faire partie d’une stratégie militaire dans le cadre d’une intervention active dans une guerre civile.
Légitimer et étendre
La révision prévue vise à légitimer ces procédures douteuses en autorisant explicitement
l’exportation de matériel de guerre dans les pays en guerre civile. Si l’Ordonnance est à
peine respectée à l’heure actuelle, cet assouplissement supplémentaire ne pourra qu’empirer
les choses. Il est hypocrite de la part du Conseil fédéral de prétendre que des pays comme le
Pakistan ou la Thaïlande pourraient faire partie des pays de destination, puisque des exportations
d’une valeur de plusieurs millions de francs sont déjà accordées à ces deux pays. Il serait pourtant naïf de croire que la révision de l’OMG se ferait dans le seul but de transcrire sur le papier les pratiques actuelles. Il y a fort à parier que cet assouplissement permettrait d’étendre la vente de matériel de guerre à des pays en crise comme la Turquie, les Philippines ou l’Ukraine.