Dramaturgie : Scenarii pour un scenario

“Une Suisse sans armée” n°32, hiver 1996, p. 12

Du temps où Max Frisch parlait de l’armée en termes de «chien de garde de la bourgeoisie», le conseiller fédéral Villiger s’en était offusqué publiquement. Que diable! Ce grand bonhomme, le plus grand dramaturge allemand vivant, en était resté aux années trente! Fini tout cela, vieilleries!

Prise au piège de sa propre démagogie, la propagande militaire se voit aujourd’hui dans l’obligation de donner une nouvelle légitimité aux interventions contre la population. Tâche ingrate s’il en est qui demande le concours d’acteurs expérimentés: des capitaines dans le rôle de la brute, quelques éditorialistes écoutés dans le rôle du vieux sage et Adolf Ogi himself dans celui du bon naïf.

D’abord, un méchant capitaine se lance dans un exercice stupide (c’est Adolf qui le dit) qui met en scène des braves soldats défendant un bâtiment public contre des chômeurs en colère. Piqué au vif, suite aux révélations de la presse, le bon Adolf édicte un ordre de service interdisant ce genre de scénario.

Cela n’empêche, des scénarios analogues sont rejoués à quelques semaines d’intervalle, contre des paysans d’abord, des cheminots et des syndicalistes ensuite. L’opération a l’avantage de tout ce qui est répétitif: on finit par s’y habituer.

Mais ça ne calme pas la colère d’Adolf. La presse, toujours bien informée, s’empresse de le faire savoir et de lui décerner, à lui et à la majorité de son département, des certificats de bienséance. C’est alors qu’intervient le vieux sage (Frank. A. M. dans la version allemande et Jacques P. pour la française) pour nous dire à la fois tout le bien qu’il pense de ce pauvre ministre de la défense et lui prodiguer ses conseils avisés.

Certes, que des capitaines transgressent les ordres, c’est grave (et puis, quel manque de tact!). Mais tout de même, la situation étant ce qu’elle est, ayons le courage de regarder l’avenir en face. Oui, nous dit-il, il faut bien admettre que la situation sociale est tendue.

Ainsi, visionnaire, il nous invite à reconnaître que, tribut obligé à payer à la modernité, des jacqueries contemporaines vont se produire: l’Etat se doit donc de se doter des instruments coercitifs pour y faire face. Tiens, d’ailleurs, les nouvelles ordonnances en consultation en sont un, justement…

Le scénario se tient. Mais en matière de dramaturgie, c’est celle de Frisch que nous préférons.

p.gi

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