Exportation de matériel de guerre

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Exportation de matériel de guerre

Les armes ne sont pas un produit comme un autre. Elles sont produites pour réduire à néant des vies humaines, le plus possible et de la manière la plus efficace possible. La Suisse, avec ses apparences de première de classe, se salit aussi les mains dans ce commerce répugnant.

Les exportations en 2020

En 2020, la Suisse a exporté du matériel de guerre d’une valeur totale de 901 millions de francs, un record absolu dans l’histoire suisse !

Ces chiffres extrêmement élevés ne sont pas le seul élément terrifiant, la liste des pays destinataires est elle aussi éminemment problématique. Ainsi, on y trouve notamment plusieurs pays participant à la guerre du Yémen, qui a engendré la pire crise humanitaire du 21e siècle, tels que le Bahreïn, le Koweït, les Émirats arabes unis et surtout l’Arabie saoudite, l’un des principaux clients de l’industrie de l’armement suisse ces dernières années. En tout, depuis le début de la guerre au Yémen, la Suisse a permis l’exportation de matériel de guerre d’une valeur de près de 84 millions de francs vers les membres de la coalition emmenée par l’Arabie saoudite.
Dans la liste des destinataires, on trouve également plusieurs pays dans lesquels les droits humains sont gravement et systématiquement violés. Tel est le cas du Brésil mais aussi de l’Indonésie, troisième plus grande destination pour les exportations d’armes suisses en 2020.

Des années plus tard, le matériel de guerre reste mortel

Le fait que le matériel de guerre exporté soit encore mortel des années après sa livraison nous a été prouvé par une vidéo de mai 2015 réalisée à la frontière du Yémen. Des chars d’assaut Piranha, produits en Thurgovie, livrés à l’armée de l’Arabie saoudite ont en effet fait leur apparition dans une vidéo montrant des préparatifs pour l’invasion du Yémen. La dernière livraison de chars d’assaut suisses en Arabie saoudite remontait à 5 ans plus tôt mais la grande qualité du matériel suisse garantit son efficacité sur le long terme, même pour une utilisation dans une guerre des années plus tard…

Les exportations d’armes sans problème n’existent pas. La « guerre contre le terrorisme » en Irak, en Afghanistan et en Syrie montre que même les démocraties occidentales ne craignent pas les guerres qui violent le droit international et de façon générale, les violations des droits humains. Même dans les pays en guerre civile, des armes suisses sont utilisées. Que ce soit Tchad, en Irak, en Iran, au Guatemala, au Mexique, en Angola ou encore en Birmanie, l’Histoire regorge d’exemples où des régimes totalitaires ont bombardé leur propre population avec des avions Pilatus suisses.

Qui produit et qui profite ?

La Suisse est un endroit sûr pour les diverses entreprises d’armement qui y ont élu domicile. Aux côtés de nombreuses petites entreprises qui produisent du matériel de guerre, des « biens militaires particuliers » ou des biens « dual-use », quatre grandes entreprises sortent du lot : la Mowag (General Dynamics European Land Systems), Pilatus-Werke, Rheinmetall-Air-Defence et Ruag.

  • Mowag

Le principal produit d’exportation de l’entreprise Mowag établie à Kreuzlingen (TG) est le char d’assaut « Pirana ». Ces chars sont à l’heure actuelle utilisés par l’Arabie saoudite au Yémen pour combattre les rebelles Houthis. L’Arabie saoudite les avait déjà utilisés en 2011 pour se débarrasser du mouvement d’opposition qui occupait le Bahreïn pour réclamer plus de démocratie. Lors de la guerre en Afghanistan, des tank Pirana ont également été utilisés.

Le Danemark, l’Allemagne, l’Irlande, la Finlande, la Belgique et la Roumanie, quant à eux, utilisent ces mêmes chars d’assaut dans la soit disant « guerre contre le terrorisme ». Leur utilisation à coûté la vie à de nombreux civils. Depuis des dizaines d’années de nombreux régimes autoritaires utilisent les tanks de l’entreprise Ruag afin de mater l’opposition.

L’entreprise Mowag avait une relation particulièrement étroite avec le dictateur Chilien Augusto Pinochet. Après avoir quitté le pouvoir, en 1990, il est invité secrètement en Suisse, pour une rencontre amicale avec le chef de Mowag.

  • Pilatus

Les usines Pilatus établies à Stans (NW) fabriquent des avions militaires légers en plus d’avions privés civils. Ces machines sont officiellement considérés comme avions d’entraînement et peuvent par conséquent être exportés presque partout. En réalité, ces avions sont souvent utilisés dans des opérations de combat, en particulier contre les insurrections. Un des derniers scandales en date est l’achat de Pilatus PC-12 par les USA. Après leur achat, ces avions – pourtant considérés comme des biens civils – ont été équipés en technologies de surveillance ultra-modernes, armés et envoyés en Afghanistan. Un PC-12 a notamment été utilisé dans le cadre d’une attaque aérienne lors de laquelle des enfants ont été tués. Aujourd’hui, au moins un avion est entre les mains des Talibans et la trace de plusieurs d’entre eux a été perdue.

Alors que l’entreprise Pilatus elle-même fait l’éloge de son avion comme étant approprié pour des opérations militaires, la Suisse officielle, elle, détourne le regard. Le Tchad a lui aussi utilisé des PC-9 de Pilatus pour larguer des bombes à fragmentation sur les gens qui fuyaient le pays. Un exemple de plus : Au Chiapas, l’armée mexicaine a bombardé des villages avec des avions Pilatus. Plusieurs centaines de personnes sont mortes. La triste liste continue et inclut la Birmanie, le Guatemala et l’Angola. Même le gaz que Saddam Hussein a utilisé contre les Kurdes, dans le nord de l’Irak, a été largué par des machines Pilatus.

  • Rheinmetall Air Defence

Rheinmetall Air Defence est la division « armement » du groupe Oerlikon-Bührle. Cette société appartient au groupe allemand Rheinmetall et fabrique entre autres des canons antiaériens et des munitions de calibre moyen. L’Iran, la Chine ou encore le Pakistan sont équipés de canons Oerlikon.

Le dernier scandale concernant Rheinmetall est une affaire de corruption en Grèce, dans laquelle les fonctionnaires du ministère ont reçu des pots de vin d’une valeur de plusieurs millions, afin que la Grèce achète le système de défense aérienne de Rheinmetall.

  • Ruag

L’entreprise Ruag est détenue à 100% par la Confédération. Aujourd’hui, elle génère la moitié de son chiffre d’affaires dans le secteur civil, mais continue à produire des armes. Les armes à feu de petit calibre sont de véritables armes de destruction massive: elles font près de 1000 victimes par jour.

Ruag est le plus grand producteur de munitions d’armes légères en Europe. En plus de la production pour l’armée suisse, Ruag exporte dans le monde entier. Ainsi en 2012, des grenades à main de Ruag sont apparues en pleine guerre civile syrienne.

Comment est-ce-que les exportations d’armes sont réglées en suisse?

Les bénéfices réalisés en Suisse l’ont été jusqu’ici au détriment de vies humaines et préférés à celles-ci. Ce constat devient de plus en plus évident, au fur et à mesure de l’assouplissement de l’ordonnance sur le matériel de guerre. Cet assouplissement ouvre la voie à des exportations de matériel de guerre vers des régimes qui violent systématiquement et gravement les droits humains. Le matériel de guerre est réglementé par la loi sur les matériaux de guerre et la loi sur le contrôle des marchandises. La question de ce qui est défini comme du matériel de guerre est donc centrale.

En droit suisse, le terme «matériel de guerre» fait référence aux armes, systèmes d’armement, munitions ainsi qu’aux engins explosifs militaires et éléments d’équipement, qui sont spécifiquement conçus pour la guerre ou le combat et ne sont pas utilisés à des fins civiles. Les «biens militaires spécifiques», par exemple les avions d’entraînement militaire Pilatus, relèvent de la loi sur le contrôle des biens. D’un point de vue international, il s’agit là d’une spécificité suisse. En effet, dans les statistiques internationales portant sur le commerce de matériel de guerre, la distinction entre ces deux catégories n’est pas faite.

La loi qui contrôle les exportations de biens normaux est bien moins sévère que celle qui concerne les exportations de matériaux de guerre. Les biens à double usage, c’est-à-dire des biens qui peuvent à la fois être utilisés dans le domaine militaire et dans le domaine civil, sont sujets cette première loi. On peut citer comme exemple de bien à double usage les produits chimiques, à partir desquels on peut à la fois produire des engrais, foncièrement civils, et des explosifs militaires. La distinction entre matériel de guerre et « biens militaires spécifiques » sert donc à faciliter les exportations pour certaines entreprises. En effet, qu’il s’agisse du tank Piranha de Mowag (matériel de guerre) ou des avion militaires de Pilatus (biens militaires spécifiques), ce sont bel et bien des armements qui serviront en définitive dans des conflits armés.

Quel est le rôle joué par ces exportations dans l’économie suisse ?

L’industrie de matériel de guerre ne constitue qu’une minuscule part de l’industrie d’exportation suisse. Seuls quelques millièmes des exportations suisses en sont issus. Selon une étude de la Confédération menée en 2008, l’industrie d’exportation de matériel de guerre emploie directement 3’335 personnes, à ce chiffre s’ajoutent 1’797 emplois auprès d’entreprises sous-traitantes. Aujourd’hui, la part de matériel de guerre dans les exportations est encore plus petite qu’en 2008. Le nombre d’empois totaux dans ce secteur ne représente que la moitié de ceux dans l’industrie minière suisse ou de ceux à l’hôpital Inselspital de Berne. Entre 2015 et 2019, les exportations d’armes représentaient en moyenne 0,17 % du PIB suisse – c’est, à titre de comparaison, autant que l’ensemble des entreprises produisant des fenêtres en bois en Suisse.