La raison principale pour cette guerre d’agression contre l’Ukraine est le chauvinisme grand russe.
Trois jours avant l’invasion de l’Ukraine, Vladimir Poutine a prononcé un discours révélant pourquoi il remettait en question le statut de l’Ukraine en tant que nation. Il la voit comme faisant « partie intégrale de l’histoire, de la culture et de l’espace spirituel » russe. Par ce dernier point, il entend l’orthodoxie russe. Il ne reconnaît pas le droit du peuple ukrainien à avoir son propre État, qu’il appelle « l’Ukraine de Vladimir Lénine ». Le droit de sécession qui avait été donné à l’Ukraine lors de la création de l’URSS est pour lui « pire qu’une erreur », donc un crime. Dans sa logique anticommuniste, il a appelé à une « vraie décommunisation » de l’Ukraine. Par cela, il entend l’intégration de l’Ukraine à l’État russe et à son oligarco-capitalisme. Dans ce discours, la « dénazification » n’a joué qu’un rôle de second plan.
Douleur fantôme impérialiste
Remarquons la dénomination de la langue ukrainienne comme simple « dialecte » par Poutine. Cela nous ramène à une analogie éclairante : le franquisme espagnol ne voit la Catalogne et le catalan de la même manière que le chauvinisme grand russe voit l’Ukraine et l’ukrainien. Dans les deux cas, il est remarquable que les régimes à Madrid et à Moscou détestent beaucoup moins les régions qui se sont fermement opposées (la Tchétchénie et le Pays basque) que les nations qui leur sont plus proches sur le plan linguistique et culturel. Cela est surtout dû au fait que la perte de l’Ukraine ou de la Catalogne mettrait fin à toute illusion impérialiste. Les chauvinistes impérialistes espagnols et russes n’ont jamais digéré la fin des empires auxquels ils s’identifient toujours. Car oui, les douleurs fantômes sont chroniques.
L’Ukraine a amplement prouvé qu’elle était une nation indépendante dans sa façon de se défendre contre l’invasion russe. Le mouvement nationaliste ukrainien est né, à l’image de celui de nombreux pays d’Europe, au milieu du XIXè siècle. Les poètes ont joué un rôle clé dans ce mouvement, comme c’est souvent le cas en Europe de l’Est. L’un d’entre eux était Taras Chevchenko, qui avait grandi dans le servage. Ce mouvement d’émancipation ayant une forte composante littéraire, le Tsar Alexandre II a interdit l’écriture en langue ukrainienne en 1876. En parallèle au mouvement d’émancipation dans la partie russe de l’Ukraine s’est développé un mouvement nationaliste ukrainien en Galicie autrichienne.
Le Holodomor stalinien
Après la Première guerre mondiale, la révolution russe et la guerre civile, l’Ukraine était divisée en quatre parties : l’Ukraine soviétique, l’une des républiques fondatrices de l’URSS, l’Ukraine occidentale polonaise, l’Ukraine dans les Carpates en Tchécoslovaquie et la Bucovine du Nord en Roumanie. Pour Lénine, l’Ukraine était en effet un bastion contre le « chauvinisme grand russe » qu’il détestait tant. La faiblesse de son fédéralisme n’était pas due au concept territorial, mais au système du parti unique. Car celui-ci annule finalement toute division territoriale du pouvoir. Quoi qu’il en soit, dans les années 1920, l’ukrainisation linguistique et culturelle de la république soviétique attira fortement les personnes des autres territoires ukrainiens, majoritairement des paysan.nes.
Toutefois, en 1929, cela changea radicalement avec la collectivisation forcée de Staline. En Ukraine, celle-ci poursuivait également le but tsariste de l’élimination de toute spécificité ukrainienne. Le mélange de famine économique et d’affamement politiquement motivé coûta la vie à au moins 4 millions de personnes. L’Holodomor (en ukrainien : tuer par la faim) est une preuve dramatique de la haine profonde que voue le chauvinisme grand russe à l’Ukraine.
L’armement de Poutine et la « guerre contre le terrorisme »
Toutefois, la haine ne suffit pas pour mener une guerre. Il faut aussi une armée. La guerre de Poutine a pour fondement la vente de matières premières. Une grande partie de ce négoce se fait en Suisse, plus particulièrement à Genève et à Zoug. Sans les rendements du commerce de gaz, de pétrole, d’uranium et d’autres matières premières et sans la fortune des oligarques, Poutine n’aurait jamais pu commencer cette guerre. Ou alors, il aurait dû l’interrompre après deux mois, faute d’argent, d’armes ou de pièces détachées.
Pourquoi, en Suisse, parle-t-on et écrit-on plus sur les livraisons (légalement impossibles et politiquement insensées) de munitions à l’Ukraine que de livraison d’argent et d’exportations à double usage à Poutine ? D’une part, parce que les Pfister (« modèle de Zoug ») et autre Keller-Sutter (bien à double usage pour réacteurs de bombardiers) ne veulent pas s’avouer qu’ils et elles sont co-responsables (directement ou indirectement) de l’armement de la Russie. Et d’autre part, ils ne veulent pas enrouler le tapis rouge qu’ils ont déroulé aux riches et aux multinationales.
Si je n’ai pas parlé de l’OTAN jusqu’ici, c’est parce que la guerre de Poutine peut s’expliquer uniquement par le chauvinisme grand russe lui-même. L’OTAN lui a facilité la tâche dans la mesure où le chef de guerre russe a pu naviguer dans l’ombre de la « guerre contre le terrorisme ». Lorsque, le 12 octobre 2002, quatre ans après le début de la guerre en Tchétchénie et 13 mois après le 11 septembre, Vladimir Poutine a reçu un prix de la paix dans un casino zougois, l’un des invités était l’ambassadeur des États-Unis. La victoire en Syrie de l’armée de l’air russe, dont la « guerre contre le terrorisme » a coûté la vie à plus de 20’000 personnes entre 2017 et 2021, est très probablement un facteur déterminant pour la démesure du chauvinisme grand russe en 2022. Mais c’est Poutine à lui seul qui est responsable pour la guerre en Ukraine.