Le drame sans fin du service militaire obligatoire

Les choses bougent dans le domaine de l’obligation de servir : le Conseil fédéral veut réformer le système pendant que, fin avril, la collecte de signature pour un service citoyen débute. Quel dommage qu’avec tant de volonté de réformer les choses, il n’y ait que peu de propositions sensées.

Contre l’obligation de servir

Le service militaire obligatoire est probablement l’un des défauts les plus absurdes de notre système de milice si apprécié. Le GSsA est fondamentalement opposé à cette obligation. En 2013, le peuple a pu se prononcer sur une initiative du GSsA sur l’abolition de l’obligation de servir. Malheureusement, l’initiative a été rejetée avec près de 75% de NON. Une majorité des votant.es voulait apparemment que l’État puisse forcer tous les hommes suisses à servir durant une phase importante de leur vie. Ils doivent mettre sur pause leur formation et leur travail pour un service constitué presque entièrement d’attente et d’activités inutiles servant juste à les occuper.

Bizarrement, les défenseurs.euses du service militaire obligatoire sont également celles et ceux qui demandent toujours de ne pas dilapider l’argent du contribuable lorsqu’il s’agit de protection du climat, de la protection sociale ou encore de la santé. En même temps, ils et elles veulent de bonnes conditions-cadre pour l’économie. Imaginez combien d’argent on pourrait économiser si tous les hommes suisses ne devaient pas effectuer un service pour lequel ils sont payés, nourris et logés – et ne parlons même pas du matériel ! Et imaginons à quel point l’économie profiterait d’une absence d’école de recrues et de cours de répétition.

Réforme : un espoir de courte durée

L’obligation de servir est un sujet quasi constant en politique, et tout le monde veut y mettre son grain de sel. Car tout le monde est concerné, que ce soit en tant que recrue ou en tant que proche. La population est donc tout ouïe quand on parle de changements dans ce domaine. Le DDPS se plaint depuis longtemps qu’il n’aura bientôt plus assez de soldat et que les effectifs de l’armée deviendraient trop petits à moyen terme. Rappelons que l’armée compte plus de 140’000 personnes alors que son effectif réglementaire s’élève à 100’000. Le projet « Développement de l’armée » (DEVA) veut lutter contre cette problématique, notamment en réformant le système de l’obligation de servir.

Beaucoup de questions se posent : y aura-t-il moins de jours de service ? Ou est-ce la fin de l’armée de masse ? L’écart entre effectif réglementaire et effectif réel sera-t-il corrigé ? Pourra-t-on même choisir librement ?

Que nenni. Le Conseil fédéral propose quatre options, dont seules deux peuvent encore être débattues. La seule proposition un tant soit peu moderne a déjà été éliminée. Il s’agissait d’un service obligatoire pour toutes les citoyennes et tous les citoyens, mais qui laissait les gens choisir parmi un large éventail de possibilités qui pouvaient ou non avoir un lien avec la sécurité. Il s’agissait par exemple de mandats politiques ou de travail associatif. Certes, il s’agirait toujours d’un service obligatoire qui impliquerait également les femmes, mais il permettrait de reconnaître et d’honorer tout l’engagement pour la société qui existe déjà en Suisse.

Une autre option est le service obligatoire pour toutes et tous, mais sans possibilité de choisir. Toutes les citoyennes et citoyens servent donc, mais l’armée a la priorité. Cette option peut encore être choisie dans la mesure où depuis fin avril 2022, le comité d’initiative collecte des signatures pour un Service citoyen, qui demanderait exactement cela. Cette proposition semble alléchante de prime abord, mais elle doit être rejetée : dumping salarial, encore plus de service forcé, renforcement de l’armée et peut-être même une violation des Convention des droits de l’Homme de l’ONU. Déjà lors de l’AG en octobre 2021, le GSsA avait adopté une résolution rejetant l’initiative. Vous trouverez ce document sur notre site web.

L’armée a la priorité

Les deux options qui sont encore à examiner sont « l’obligation de servir dans la sécurité » et « l’obligation de servir axée sur les besoins ». La première option laisserait les choses plus ou moins comme elles sont. Seul changement : la protection civile et le service civil fusionneraient pour créer une unité de protection contre les catastrophes. Le seul changement serait donc un affaiblissement massif du service civil. Tous les hommes devraient servir soit dans l’armée, soit dans la protection contre les catastrophes, il n’y aurait pas de liberté de choisir.

L’obligation de servir axée sur les besoins, elle, prévoit d’impliquer toutes les citoyennes et citoyens. Toutes les personnes nécessaires à l’armée et à la protection civile seraient recrutées. Tous les autres seraient épargnés mais devraient payer une taxe d’exempion. Concrètement, cela signifierait que le service civil n’existerait plus et que l’on devrait payer même si l’on aimerait servir, sous prétexte que l’on n’a pas été choisi.e par le DDPS. Environ la moitié des conscrit.es ne pourrait pas servir. L’État demanderait de l’argent à ces personnes même si elles seraient en principe motivées à servir. Il n’est même pas sûr que cette idée soit conforme à la loi…

Se rendre à la raison ? Non !

Ces deux propositions sont absurdes. Le service civil serait fortement affaibli ou même aboli, l’armée de masse inutile aurait la priorité absolue et il n’y aurait plus de liberté de choix. Tous les jeunes hommes ou même tous les jeunes en Suisse continueraient à être forcé de servir l’État ou de lui payer une compensation.

La discussion autour de l’obligation de servir reste peu réjoussante. Au lieu de mettre en œuvre de vraies réformes, de remettre en question le système, de supprimer les postes superflus et de réduire massivement, on préfère se plaindre de la mauvaise réputation de l’armée et du manque de soldat.es. Ces propositions de réformes complètement irréalisables ne sont qu’une tentative désespérée de préserver l’armée telle qu’elle est.

Chaque jour, des recrues désespérées nous écrivent ou nous appellent pour essayer de sortir de cette armée qui n’a aucun sens à leurs yeux et qui a chamboulé tous leurs plans. Peut-être que c’est là que le DDPS devrait commencer au lieu de vouloir augmenter le nombre de personnes obligées de servir pour atteindre des buts arbitraires.