Les neutralités à l’épreuve du Bürgenstock

La conférence du Bürgenstock qui a eu lieu à la mi-juin représente un succès important pour l’Ukraine. Selon les auteur·ices de l’initiative sur la neutralité de l’UDC et du manifeste Neutralité 21, elle n’aurait jamais dû avoir lieu. Mais cette conférence a sa place dans une neutralité solidaire.

L’initiative populaire demandant une “neutralité intégrale”, portée surtout par l’UDC, est insensée au niveau de la politique de sécurité et des obligations internationales d’un pays hautement globalisé comme la Suisse. La “neutralité armée” est dépassée, militairement et politiquement.

Une neutralité au service de l’économie

L’UDC veut une neutralité où la Suisse profite du monde entier en prenant aussi peu que possible ses responsabilités en tant qu’Etat . C’est pour cela que le parti était si opposé à la conférence de paix sur le Bürgenstock. Au cours des vingt dernières années, le capital financier et fossile suisse a en effet privilégié Poutine et contrairement à ce que prétend l’UDC, les sanctions des deux dernières années ont rendu notre pays plus neutre.

Fin mai 2024, un comité publiait le manifeste Neutralité 21. La plupart des critiques qui y sont formulées contre l’initiative de l’UDC sont fondées. Notamment lorsqu’il est question des agresseurs et les victimes sont mis sur un pied d’égalité, ce que le manifeste qualifie d’injustice. Toutefois, le manifeste reste dans la lignée de cette mentalité qui privilégie les intérêts économiques. Ses auteur·ices veulent ainsi absolument faire en sorte que la Suisse continue de participer au business de la mort. Il est demandé que la loi sur le matériel de guerre soit assouplie, tout en omettant que le seul objet concret dans ce sens au Parlement est la Lex Saudi. La Conférence du Bürgenstock n’est pas mentionnée dans le manifeste, car des livraisons de matériel de guerre à l’Ukraine auraient rendu son organisation impossible.

Cette neutralité au service de l’économie fait surtout l’impasse sur une autre question, bien plus importante : la Russie pourrait-elle encore financer sa guerre sans les milliards venus de Suisse ? Pourrait-elle encore attaquer l’Ukraine avec des roquettes et des bombardiers sans les machines spéciales dont le PLR a obtenu l’exportation en 2016, malgré l’avis contraire du SECO ? Les auteur·ices du manifeste Neutralité 21 ont également des revendications de sanctions propres à la Suisse qui sont peu crédibles. L’exemple de la branche pharmaceutique le montre bien : tandis que le commerce de matières premières a connu un certainrecul, la pharma a quant à elle enregistré un véritable record d’exportations. La présidente de la Chambre de commerce bâloise aurait-elle signé le manifeste si le secteur pharmaceutique avait été inclus sous le point “embargo » dans ce dernier ?

Neutralité pacifique

Le manifeste considère la neutralité, si profondément ancrée en Suisse comme un problème, alors que nous voyons cela comme une chance. Car la neutralité a un très grand potentiel lorsqu’il s’agit de construire une politique de paix active et globale. La Conférence du Bürgenstock, en tant que premier pas concret sur le chemin vers une paix juste entre l’Ukraine et la Russie en est la preuve concrète.

La neutralité pacifique a son origine dans sa compatibilité avec l’universalité et l’humanité. De plus, elle accorde une grande importance au droit international, aux droits humains et aux Accords onusiens, qui deviennent plus contraignants. Le traité pour une interdiction des armes nucléaires en est un bon exemple. Nous devons davantage nous engager au sein des Nations unies et soigner nos bons offices. Le service civil doit également être étendu pour intégrer des missions de maintien de la paix, le Corps d’aide humanitaire doit être renforcé, tout comme la coopération au développement. La Suisse doit également participer à des missions de l’ONU. En effet, un pays neutre possède une crédibilité particulière lorsqu’il s’agit de recherches dans le domaine de la paix ou la reconnaissance précoce de conflits.

L’une des actions les plus évidentes que la Suisse pourrait entreprendre pour la paix dans le monde serait de renoncer à l’exportation d’armes de guerre et au commerce de guerre. L’engagement mondial contre le changement climatique est, lui aussi, existentiel et urgent. Car la crise climatique n’est pas seulement le plus grand risque de sécurité au monde, elle est également causée par les matières premières qui alimentent souvent les guerres. Nous avons soutenu la Conférence du Bürgenstock organisée par le Conseil fédéral. Celui-ci serait plus crédible s’il avouait la co-responsabilité de la Suisse dans la guerre d’agression de Poutine.