Livraisons d’armes à l’Ukraine

Le début de la guerre d’agression de Poutine contre l’Ukraine a été un choc pour tout le monde. Pendant un moment, il y eut de la consternation et de la solidarité, puis de la colère parce que le Conseil fédéral avait pris des sanctions avec tant d’hésitation. Il est vite devenu clair que le plus grand levier de la Suisse pour désamorcer cette guerre se trouve là où se déroulent les sales affaires de pétrole, de gaz et d’uranium. Sur la place du négoce des matières premières. Dans une habile manœuvre de diversion, les bourgeois ont toutefois éludé ces questions gênantes. Au lieu de cela, ils ont exigé des livraisons d’armes et qualifié le mouvement pacifiste de « divisé ». Et ce, bien que la situation juridique en Suisse ait été claire dès le début et que les exportations d’armes vers des parties belligérantes soient considérées comme contraires à la loi. Avec les articles d’opinion suivants, nous voulons essayer de présenter les différentes positions sur cette question au sein du GSsA et du mouvement pour la paix au sens large. Il est clair pour nous qu’en tant que mouvement pour la paix, nous ne devons pas nous laisser diviser et distraire par des bourgeois apeurés, mais que nous devons garder en ligne de mire les grands leviers dont dispose la Suisse pour contribuer à la paix en Ukraine : à savoir la place commerciale pour les matières premières russes et la place financière comme havre de paix pour l’argent des oligarques.

Opinion – Pas de paix avec Poutine

Au cours des derniers mois, la situation en Ukraine s’est détériorée. L’armée de Poutine y commet des horreurs. La gauche et le GSsA doivent être solidaires avec l’opposition à Poutine.

JONAS KAMPUS

La guerre en Ukraine dure déjà depuis huit mois. Des milliers de personnes sont décédées sur le champ de bataille, dans des supermarchés, dans leur lit. Ici, en Europe de l’ouest ce que nous étions jurés d’éviter arriva : la guerre a rejoint les feux de forêt et la noyade de réfugiés en Méditerranée dans le flot incessant des nouvelles qui ne font plus la une.

Cette semaine seulement, je me suis rendu compte de la césure que représente l’invasion de l’Ukraine par Poutine. Depuis 1945, aucun pays de cette taille n’avait été attaqué simultanément par les airs, la mer et la terre. Au début de la guerre, beaucoup de groupes de gauche avaient vu cette guerre comme guerre par procuration entre deux blocs, l’un dirigé par la Russie et l’autre par les États-Unis. Or, la réaction hésitante des membres de l’OTAN nous montre que cette interprétation est erronée. Cette vision des choses ignore le fait qu’avant le 24 février, l’Ukraine aurait été à des décennies d’une adhésion à l’UE ou à l’OTAN. En suivant cette analyse, nous dénions toute autonomie et autodétermination à la population ukrainienne, ne la laissant ainsi pas décider de sa vie et de ses intérêts. Au cours des derniers siècles et en particulier pendant le XXè siècle, les États d’Europe de l’Est ont joué le rôle de zone tampon pour la Russie et l’Europe de l’ouest, qui ont tour à tour dominé cette zone.

La résistance de la population ukrainienne au cours des derniers mois contre la plus grande puissance nucléaire est impressionnante. Et je vous dis ça en tant que membre convaincu du GSsA. Celles et ceux qui invoquent le pacifisme pour ne pas avoir à se décider entre l’agression de Poutine et la résistance ukrainienne ne sont pas pour la paix, mais pour une libre propagation du chauvinisme russe. Des vétéran.nes anarchistes qui avaient combattu dans la guerre civile espagnole avaient dit que la lecture de Tolstoï les avait animés à prendre les armes contre les fascistes franquistes. Et après tout, en 1936, Madrid n’a pas été défendue par un sit-in et en 1944, la Normandie n’a pas été libérée des Nazis grâce à des lettres ouvertes. En tant que membres de la gauche et du GSsA, nous ne pouvons pas nous permettre d’être passifs/ves dans cette guerre. D’innombrables anarchistes, communistes et syndicalistes ukrainien.nes, bélarusses et russes combattent en Ukraine, non pas pour le gouvernement néolibéral de Selensky, mais pour l’autodétermination de la population ukrainienne. La métamorphose de la Russie d’un État autoritaire en un État ouvertement fasciste anéantit toute ambition de gauche, démocratique, féministe ou écologiste. Aucun.e pacifiste ne peut vouloir d’une Ukraine sous la domination de Poutine. Au contraire, cela donnerait plus d’élan à des partis russophiles en Europe, de l’UDC aux post-fasciste des Fratelli d’Italia.

Nous ne sauront probablement qu’à postériori si le système poutinien est un fascisme déguisé. Toutefois, si l’on écoute les tirades de haine venant des commentateurs TV russes, nous devons nous attendre au pire. Les menaces nucléaires ouvertes de Poutine et de ses acolytes, l’occupation hasardeuse de la zone d’exclusion autour de Tchernobyl ainsi que l’attaque de la plus grande centrale nucléaire d’Europe et utilisation de celle-ci en tant que base militaire font renaître les craintes de l’annihilation nucléaire. Le scénario d’une catastrophe nucléaire causée par la Russie est bien réelle.

Les terribles informations sur les horreurs commises par les soldats russes dans les zones occupées nous montrent l’importance des manifestations de solidarité avec le peuple ukrainien. Au lieu de nous cacher derrière une fausse interprétation du pacifisme, nous, la gauche d’Europe occidentale devons soutenir moralement et matériellement nos camarades en Ukraine, mais également en Russie et au Belarus. Car avec Poutine, il n’y aura pas de paix, ni en Ukraine, ni dans le reste du monde.

Opinion – Pourquoi nous battons-nous ?

« Le pacifisme radical mène à une impasse », titrait la WOZ le 26 mai dernier avec une citation d’Anja Gada à propos d’une interview qui exposait pour la première fois ouvertement les débats internes du GSsA sur le pacifisme dans la guerre en Ukraine. Il était ainsi clair que la position pacifiste radicale devenait de plus en plus controversée, même au sein de la gauche. Cet article a pour but de montrer pourquoi on peut aussi être radicalement pacifiste dans une guerre et dans quelle mesure les principes de gauche soutiennent une telle attitude.

VANESSA BIERI

Pourquoi est-on politiquement active ? Dans mon cas, comme pour beaucoup je pense, le déclencheur a été le mécontentement face à la situation actuelle. J’ai vu tant d’injustices que je ne pouvais pas laisser passer et c’est ainsi que j’ai trouvé le chemin de la politique de gauche. Une politique qui représente la justice, la paix et surtout la perspective, et qui vaut la peine de se battre pour cela. Après le 24 février, cette image de la politique de gauche s’est brisée pour moi et j’ai dû me demander à nouveau : « Pour quoi est-ce que je me bats ? »

QUE VOULONS-NOUS ?

La politique de gauche veut la justice sociale et donc une société qui offre une place égale à chacun.e. On parle de cohérence – résolument sociale, résolument anticapitaliste, résolument respectueuse du climat, résolument pour une perspective avec des solutions concrètes. Le fait que cela prenne du temps et nécessite d’innombrables étapes intermédiaires dans la mise en œuvre est dans la nature du système démocratique. Mais nous avons un objectif que nous poursuivons. Une perspective, plutôt qu’une simple lutte contre les symptômes. L’être humain et son bien-être sont la priorité absolue et le corollaire de cette priorité est pour moi le pacifisme. Car si nous voulons lutter contre ce qui est hostile à l’humain, nous devons nous engager contre les armes et leur utilisation. Mais que faire si nous sommes déjà au milieu d’une guerre ? Une question qui a divisé le mouvement pacifiste en février : on était d’accord que sur l’objectif, mais pas sur le chemin à suivre. Car la guerre avait commencé, elle semblait très proche et on recourait à des moyens connus : la guerre exige des armes. C’est compréhensible si l’on considère l’histoire. Mais accepterons-nous le passé de la même manière à l’avenir, ou n’y aura-t-il pas d’alternatives ?

LE PACIFISME COMME ALTERNATIVE

Le dictionnaire définit le pacifisme comme suit : « Un courant idéologique qui rejette toute guerre en tant que moyen de confrontation et qui exige le renoncement à l’armement et à l’entraînement militaire ». Un courant qui est né, entre autres, parce qu’on s’est rendu compte que le « vainqueur » d’une guerre n’est jamais la population. L’attitude d’une politique en faveur es gens devrait donc être claire. Mais la première réaction à l’aide directe aux personnes innocentes attaquées, à la défense de leur patrie et à la protection de leur vie, a été, à gauche également, une discussion sur les armes. Mais on y perd la perspective et la cohérence exigées, et c’est là qu’intervient la question : « Pour quoi est-ce que je me bats ? Pour lutter contre les symptômes à court terme ou pour un changement fondamental, avec une perspective ? » Et cela signifie poursuivre sa perspective non seulement en temps de paix.

En Suisse, nous avons la possibilité de pouvoir adopter une position pacifiste radicale et d’ouvrir ainsi la voie à la paix pacifiste. Car il ne s’agit pas de « et si ? », mais de « et maintenant ? ». Nous ne devons pas nous demander ce qui se passerait si la Suisse était en guerre ou ce qui se passerait si nous pouvions livrer des armes. Nous devons nous demander comment amener la Suisse à ne pas continuer comme avant une fois la guerre terminée, mais à faire de la prévention de conflits qui soit sérieuse. Notre tâche est maintenant de faire une déclaration claire contre le réarmement et l’utilisation d’armes. Car je suis convaincue qu’il ne peut y avoir de paix par les armes et je n’accepterai pas que les armes soient la seule solution en cas de guerre. Je crois bien plus à la résistance civile, à l’aide humanitaire et à la fuite, car je donne plus de valeur aux vies humaines qu’aux frontières nationales construites ainsi qu’à un système politique construit – c’est la conséquence que j’en tire lorsque je parle de perspective. Car un système politique peut être changé avec des personnes, et la masse est notre force, mais le système politique ne ressuscite pas les morts et il oublie les milliers de personnes qui sont mortes sur le champ de bataille.

POUR QUOI VOUS BATTEZ-VOUS ?

Pour moi, le pacifisme radical ne mène donc pas à une impasse, mais est au contraire la seule politique de paix cohérente qui permette de sortir de l’impasse. Car les personnes qui, des deux côtés, ont été contraintes de participer à cette guerre qu’elles n’ont jamais voulue, partiront oubliées. Mais avec une position pacifiste forte, nous parviendrons peut-être à faire en sorte que la prochaine fois soit différente, et c’est pour cela que je me bats. Et vous ?

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