La Suisse a besoin d’une autre neutralité, une neutralité qui rime avec l’ONU et des multinationales responsables.
Les discussions autour de la neutralité suisse qui sont menées depuis l’invasion de l’Ukraine par la Russie ont pour but de ne pas aborder la question qui fâche : comment fonctionne le modèle économique suisse ? Les conservateurs nationalistes évitent explicitement cette question en prétendant que des sanctions décrétées uniquement contre la Russie vont à l’encontre de la neutralité, ce qui n’est pas vrai. Le Centre et le PLR, sans qui Poutine peinerait à financer sa guerre et ne pourrait plus utiliser autant de bombes, de roquettes et de munitions, font tout pour ne pas être vus comme les complices qu’ils sont. Ils poursuivent également un autre but non dissimulé : une intégration partielle de la Suisse dans l’OTAN. Certain·es politicien·nes de gauche ont également un intérêt à détourner l’attention de l’aide politique à l’armement de Poutine. Car iels font partie de celleux qui ne s’y sont jamais opposé·es. Par ailleurs, il existe depuis des années des forces politiques au sein du PS et des Vert·es qui cherchent à rapprocher la Suisse de l’OTAN. Dans l’édition du 24 avril du magazine Republik, un politicien bernois de gauche disait que la Suisse devait signer une sorte d’accord d’association avec l’OTAN.
Des sanctions pour une Suisse plus neutre
L’interprétation de la neutralité que nous utilisons dans le cadre de cette guerre est diamétralement opposée à l’approche de l’UDC. En effet, pendant deux décennies, l’économie et la politique étrangère suisse ont unilatéralement soutenu la Russie. Des milliers d’entreprises et d’instituts financiers russes, des oligarques pleins aux as et dépendant presque tous entièrement de Poutine, des grandes banques, l’industrie pharmaceutique et surtout les entreprises de matières premières ont ainsi rempli la caisse d’Etat de la Russie et fait tourner la machine de guerre, ce qu’ils font toujours. Les sanctions contre la Russie renforcent donc la neutralité suisse. Notons que celle-ci ne s’oppose pas forcément à la solidarité.
Il existe deux désavantages à un rapprochement avec l’OTAN. L’un d’ordre politique et l’autre est d’ordre militaire. Politiquement, cela signifie que l’on se rallie à la partie nord-ouest de la planète, qui ferme les yeux devant son histoire d’exploitation, de crimes et de guerres. L’occident n’existe pas sans l’Europe occidentale, qui connaît et connaîtra des gouvernements auxquels participent des partis d’extrême droite. Par ailleurs, l’OTAN fait pression sur les gouvernements pour que ceux-ci ne signent pas le TIAN. Cela montre bien ce qui est en jeu lorsque l’on parle de neutralité.
Le récemment disparu Bruno Lezzi, un expert militaire qui travaillait pour la NZZ évoque le problème d’ordre militaire dans son ouvrage Von Feld zu Feld (D’un champ à un autre, ndlt). Cet ancien colonel d’état-major général s’opposait à ce que la Suisse fasse cavalier seul sur le plan militaire. Il note que les soldats de milice, qui rentrent chez eux après trois semaines, ne feraient que gêner l’OTAN et ses troupes. Lezzi disait au sujet de la neutralité : on ne doit en aucun cas nourrir l’espoir que le droit de la neutralité et le statut d’Etat neutre permettent une coopération de défense qui aurait un réel bénéfice en termes de sécurité. Selon lui, la seule option viable d’un point de vue militaire serait que la Suisse rejoigne l’OTAN, abandonnant ainsi le service de milice et la neutralité. En comparaison, l’abolition de l’armée ne serait pas moins réaliste.
Comme l’indique la nouvelle édition de l’étude Sécurité 2030 de l’EPFZ, 91% des personnes interrogées pensent que la neutralité est importante. N’oublions pas que l’OTAN est également synonyme du piège de la complicité. Et la Suisse serait presque tombée dans ce piège le 4 septembre 2009 à Kondoz, en Afghanistan. Des avions de chasse américains ont suivi des ordres allemands et ont bombardé un camion-citerne, tuant ainsi plus de cent civils, dont un grand nombre d’enfants. Les plans de l’armée et de l’OTAN prévoyaient qu’un détachement suisse rejoigne le commando allemand à Kondoz. C’est en partie grâce au GSsA que ces plans ne sont pas devenus réalité.
Miser sur l’ONU plutôt que sur l’OTAN
La neutralité suisse est en revanche compatible avec l’ONU, qui est neutre à l’échelle internationale. Seule une alliance des nations basée sur le droit international et en mesure d’appliquer celui-ci peut parvenir à ce que la paix règne dans le monde, ce qui constitue le but de toute personne de bonne foi. Ce qui valait pour la Suisse il y a 175 ans vaut encore aujourd’hui : seule une alliance mondiale peut garantir la paix et la sécurité, une alliance particulière, comme le Sonderbund, ne le peut pas. C’est ce qui constitue la différence entre l’alliance des Nations Unies, qui unit toute l’humanité, et l’alliance particulière qu’est l’OTAN, qui ne réunit que les pays riches du nord global. La participation à l’ONU doit aller de pair avec l’extension des bons offices et du corps d’aide en cas de catastrophe, le service civil à l’étranger et l’engagement pour la paix et le service en tant que casque bleu et béret bleu.
La contribution la plus importante que la Suisse peut faire à la paix mondiale est de renoncer à exporter des armes et à financer la production d’armement. Elle peut également s’engager pour des multinationales responsables et participer à un engagement mondial contre le réchauffement climatique. Celui-ci constitue en effet le plus grand risque sécuritaire pour la planète et l’humanité.