Nouvelles initiatives du GSsA : Ringardes ?

“Une Suisse sans armée” n°33, p. 3

L’annonce de la décision de lancer une nouvelle initiative pour abolir l’armée nous a valu une bonne volée de bois vert de la part d’une presse peu avare de qualificatifs désobligeants. Parmi ceux-ci, les plus utilisés furent «nostalgiques» et «intempestifs». Ainsi, à en croire ces commentateurs éclairés, nous persévérerions dans un fondamentalisme qui ne serait plus de mise à l’heure de la grande mutation du DMF.

Cette lecture qui nous accuse de ne pas avoir évolué depuis bientôt huit ans est fort fonctionnelle: elle permet de renvoyer d’un revers de main le débat sur l’armée sous prétexte de «ringardise».

Quant à nous, c’est dans la combinaison des anciens éléments de critique avec les données nouvelles, que nous trouvons notre détermination. Démonstration.

Pas moins qu’en 1989

Depuis le tremblement de terre que fut le vote de novembre 1989, la propagande officielle s’active avec plus ou moins de bonheur à vanter les mérites de l’armée nouvelle: amincie, nous dit-on, elle serait devenue propre, intelligente, voire même utile !

Nous passerons en l’occurrence sur ce qui nous est présenté comme résiduel de l’ancienne période, à savoir les différents scandales qui ont secoué le D.M.F. au cours de ces derniers mois, pour retenir deux éléments essentiels qui n’ont pas changé depuis 1989.

D’abord, malgré les prétendues cures d’amincissement, les coûts de la défense nationale demeurent exorbitants. Ainsi, en 1995, les dépenses du DMF représentaient toujours 14% du budget fédéral, à savoir deux fois plus que ce que la Finlande consacre à l’armée, quatre fois plus que l’Autriche. De plus, la dernière proposition d’achat du DMF, un milliard pour l’acquisition de blindés pour le transport de troupes, survient au même moment où les Chambres fédérales suppriment 250 millions de subsides de la Confédération à l’assurance chômage !

Ensuite, l’instauration du service civil n’a pas supprimé l’obligation de servir. C’est en son nom que, année après année, des dizaines de milliers de jeunes hommes sont privés de quatre mois de leur vie pour être dressés à obéir et, s’il le faut, à tuer. A une époque où ce culte des armes fait couler le sang un peu partout de par le monde, de telles pratiques demeurent inacceptables et justifient, à elles seules, la volonté de supprimer l’armée pour la remplacer par une véritable politique de paix. Ceci d’autant plus que, ainsi que le dit l’ambassadeur Edouard Brunner (Journal de Genève, 1er mars 1997), «les vrais enjeux sécuritaires pour un pays comme le notre s’appellent mafia, drogue, sectes, terrorisme,» dangers contre lesquels l’utilité de l’armée est tout sauf démontrée.

Plus dangereuse qu’en 1989

Une fois réaffirmées ces constantes, il est indispensable de bien situer l’évolution du discours militaire suisse depuis 1989. Celle-ci peut se résumer à une notion, celle d’adaptation. En effet, malgré un nombre certain de ratés, il est clair que le tremblement de terre de 1989 a été mis à profit par une aile du DMF pour adapter l’armée à certaines réalités nouvelles.

Ainsi, celle que nous voulons abolir aujourd’hui n’est pas l’armée d’opérette que nous combattîmes jadis : elle est bien plus dangereuse. Elle l’est parce que, de plus en plus elle s’intègre à une stratégie de militarisation à l’échelle internationale qui, sous couvert de paix, étend un contrôle militaire sur des parties importantes de la planète, condition essentielle du maintien des actuels rapports de domination économique dans le monde.

L’intégration à l’OTAN, décidée par le Conseil fédéral en dehors de toute démarche d’adhésion à des structures politiques supranationales telles l’ONU ou l’Union Européenne, démontre parfaitement ce choix d’adaptation militaire. De fait, ce choix se substitue, quoi qu’en disent les thuriféraires de «l’ouverture à tout prix», à l’adhésion de la Suisse à l’Europe politique.

Et ce que personne ne dit pour le moment, c’est que cette intégration militaire pourrait un jour conduire des jeunes de ce pays à mourir sur des champs de bataille au nom du prix du baril de brut par exemple. Les dissertations savantes d’un certain nombre de stratèges quant à la «capacité de projection de l’armée à l’extérieur de nos frontières» (F. Carrel, chef de l’aviation et aviateur distrait à ses heures), les études de doctrine ainsi que les différentes interventions d’Adolf Ogi se gardent bien d’y faire allusion !

Adapté, le nouvel outil que le DMF est en train de façonner, il le sera aussi au plan du rôle intérieur de l’armée. En effet, au delà des ajustements en matière d’effectifs et de jours de service au profit des intérêts de l’économie privée, l’insistance mise par la nouvelle loi militaire (armée 95) sur les nouvelles tâches de police de l’armée en dit long sur la volonté de l’utiliser au service de la politique de crise des autorités.

Ainsi, notre détermination actuelle est loin de s’apparenter à une démarche de nostalgiques. Au contraire! C’est de cette combinaison entre les éléments que nous avions déjà dénoncés lors de la première votation et les modifications profondes encore en cours dans l’armée, que découle l’urgence d’une nouvelle initiative pour une Suisse sans armée.

C’est cela, justement, ne pas en rester à 1989 !

p.gilardi

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