Or des nazis, fonds en déshérance, la Suisse et le Reich:

“Une Suisse sans armée” n°33, printemps 1997, p. 15

Beaucoup d’encre a coulé sur l’affaire dite des “fonds juifs” pour critiquer les “maladresses”, les “cafouillages” et “l’absence de savoir communiquer” du Conseil Fédéral. Peu se sont exprimés sur le fond. Et pourtant, ni la manière d’aborder le passé, ni les attitudes actuelles ne sont neutres: elles sont symptomatiques de la manière dont une certaine Suisse veut aborder l’avenir, notre avenir.

A l’heure ou M. Blocher renoue avec les classiques de l’antisémitisme, au moment où M. Chevallaz justifie l’injustifiable au nom de la survie du pays et qu’un conseiller fédéral et un ambassadeur parlent, l’un de “chantage”, l’autre de “guerre contre la Suisse”, l’exigence de vérité manifestée par les signataires du texte ci-dessous ne peut que rencontrer notre adhésion. A nos membres et à nos lecteurs d’y souscrire!

Manifeste du 21 janvier 1997

Nous citoyennes et citoyens, habitantes et habitants de ce pays, signataires de ce manifeste, nous ne nous sentons mis sous pression par aucune organisation juive; en revanche, nous nous estimons discrédités par l’attitude des banques suisses et du Conseil fédéral et nous déclarons:

  1. Quand nous voyons un membre du Conseil fédéral suisse, en sa qualité de président de la Confédération, s’en prendre aux survivants de la Shoa – l’assassinat dûment planifié de millions de juifs européens – ainsi qu’à leurs successeurs et à leurs représentants, leur imputant de comploter pour déstabiliser la Suisse, les accusant de chantage en vue d’une rançon et annonçant que cela déclenche des «réactions antisémites» en Suisse;

    quand nous voyons ce membre du gouvernement suisse attendre deux semaines riches en réactions pour regretter ses déclarations et expliquer qu’il a été mal informé sur les revendications des organisations juives aux Etats-Unis, ce qui laisse entendre que ses déclarations seraient justifiées si les organisations juives avançaient effectivement des revendications financières;

    quand le Conseil fédéral dans son ensemble, a savoir l’autorité responsable en Suisse, se refuse à prendre ses distances face à ce membre et à combattre énergiquement la vague de sentiments antisémites déclenchée par les déclarations de celui-ci,

    nous estimons que la dignité démocratique de notre pays est en jeu. Il s’agit d’une atteinte à l’identité culturelle de la Suisse, depuis toujours basée sur la diversité de provenance et de religion. Pareille attitude ne porte pas préjudice aux seuls juifs, elle offense tous les habitants de ce pays attachés à la démocratie. Nous ne nous sentons pas représentés par un tel gouvernement.
  2. Quand il faut attendre cinquante ans et des pressions internationales intenses pour voir les banques suisses et les établissements financiers dans l’obligation d’admettre que des experts indépendants se penchent sur leurs livres de comptes afin d’enquêter, puis d’informer sur les avoirs «en déshérence» des victimes de la Shoa, sur le commerce de l’or volé et l’endroit où se trouve le butin de guerre et de sang des nazis;

    quand ces banques, après plus de cinquante ans, continuent de faire comme si on ne savait pas depuis longtemps, et pour l’essentiel, que le rôle joué par la place financière suisse fut celui d’aide et de receleur pour les nazis;

    que, pendant des décennies, ces mêmes banques, n’ont pas voulu reconnaître leur responsabilité et se sont permis de traiter avec mépris, arrogance et cynisme les personnes à la recherche des valeurs déposées par des parents assassinés, en refusant de leur fournir des informations auxquelles elles ont droit;

    quand, de surcroît, la plus grande banque de Suisse détruit une masse de dossiers juste avant l’intervention des experts indépendants,

    les autorités suisses ne sont plus en droit de déterminer leur politique en fonction des intérêts de ces banques, et l’exercice d’une pression politique, qu’elle vienne de l’étranger ou de l’intérieur de la Suisse, devient parfaitement légitime, si elle est au service de la recherche de la vérité.
  3. Enfin, quand une partie de la population suisse – les personnes qui appartiennent aux générations ayant vécu le service actif et l’immédiat après-guerre – se senti incomprise à force d’entendre des critiques, peut être parce que ces personnes ont été elles-mêmes soldats, à la frontière, qu’elles ont souffert de privations ou fait preuve d’esprit démocratique et de volonté de défense contre les nazis, alors que les banques et l’industrie faisaient des affaires avec ces mêmes nazis;

    quand beaucoup de gens commencent à se sentir désécurisés face à l’effondrement de quelques mythes helvétiques les ayant aidés à surmonter des périodes difficiles, sans qu’on leur ait donné les moyens d’en comprendre la fonction;

    quand beaucoup de gens, confondant la responsabilité historique de la Suisse en tant qu’Etat avec la culpabilité individuelle, se sentent injustement accusés, car ce ne sont pas eux qui ont incité les autorités allemandes à introduire le «tampon juif», ni eux qui ont ordonné personnellement de renvoyer à une mort certaine des dizaines de milliers de réfugiés juifs, mais bien le Conseil fédéral d’alors,

    nous estimons d’autant plus urgent que l’histoire récente de la Suisse continue à être reconsidérée loin de toute déformation et de toute idéalisation et à être récrite avec un plus grand souci de vérité.
  4. Mais si le Conseil fédéral se souvient qu’au siècle dernier, il a fallu une pression étrangère massive pour que la Suisse accorde l’égalité politique à ses ressortissants juifs et que de telles campagnes peuvent donc être bénéfiques à notre démocratie;

    s’il se déclare prêt à soutenir le réexamen de notre passe récent, mais aussi à encourager la diffusion dans la population des résultats de recherches historiques clairvoyantes;

    si le Conseil fédéral, les autorités et les institutions de toutes les régions de la Suisse avec lui, au lieu de laisser une fois de plus les juifs de notre pays seuls face à l’antisémitisme, décident de combattre avec la dernière énergie les tendances antisémites manifestes ou cachées;

    si le Conseil fédéral, les autorités et les institutions suisses déclarent publiquement que l’antisémitisme et le racisme ne sauraient se justifier en aucune circonstance ni être provoqués par les victimes elles-mêmes, rappellent que la manifestation de telles attitudes nous ramène aux pires années de notre passé, plutôt que de nous porter vers l’avenir;

    si l’ensemble des autorités et des institutions acceptent de donner publiquement suite, sur ces questions, à ce que souhaite la population d’une Suisse attachée à la démocratie, nous, citoyens et citoyennes, habitants et habitantes de ce pays, signataires de ce manifeste, nous les soutiendrons de toutes nos forces dans leurs efforts.

La crise politique que traverse actuellement la Suisse sera alors l’occasion d’approfondir notre sens de la démocratie, de la justice, du respect de l’autre, de la cohabitation et de la fraternité.

Ont signé ce manifeste entre autres: Nils de Dardel (Genève), Stefan Keller (Zurich), Paul Rechsteiner (St-Gall), Catherine Weber (Berne), Charles Beer (président Communauté genevoise d’actions syndicales CGA, Genève), Sandro Binanconi (linguiste, Minusio), Peter Bichsel (écrivain, Soleure), Christiane Brunner (coprésidente Union syndicale suisse, Genève), Micheline Calmy-Rey (Genève), Prof. Franco Cavalli (médecin-chef, Ascona), Werner Carobbio (Lumino), Dimitri (clown, Verscio), Jean-Michel Dolivo (avocat, secrétaire Union syndicale Vaud, Lausanne), Bruno Ganz (comédien, Zurich), Paolo Gilardi (historien, Genève), Luc Gilly (député, Genève), Michel Glardon (éditeur, Lausanne), Frédéric Gonseth (auteur cinéma, Lutry), Sébastien Guex (historien, Lausanne), David Hiler (historien, Genève), Andreas Hoessli (auteur cinéma, Zurich), Peter Hug (historien, Berne), Thomas Hürlimann (écrivain, Willerzell), Prof. Hans-Ulrich Jost (historien, Lausanne), Josef Lang (historien, Zug), Emilie Lieberherr (ancienne conseillère communale et ancienne conseillère auy Etats, Zurich), René Longet (Genève), Milena Moser (écrivaine, Zurich), Patrice Mugny (rédacteur en chef, Le Courrier, Genève), Prof. Adolf Muschg (écrivain, Männedorf), Vasco Pedrina (coprésident Union syndicale suisse, Zurich), Werner Rings (historien, Ascona), Pipilotti Rist (artiste, Zurich), Irène Schweizer (musicienne, Zurich), Georges Tissot (syndicaliste SIT, Genève), Florio Togni (psychologue, Genève), Hanspeter Uster (conseiller d’Etat, Baar ZG), Yvette Z’Graggen (écrivaine, Anières)

Merci de soutenir notre démarche en signant le manifeste, en organisant des actions sur cette question, en envoyant un don pour cet appel ou ceux qui pourraient suivre.

Comité “Manifeste du 21 janvier 1997”,
cp 6948, 3001 Berne, tél.: 077/68 48 41,
ccp: 25-542445-5

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