Pour une Suisse sans armée et un service civil pour la paix

«Dans le domaine géostratégique d’aujourd’hui, il n’y a plus personne que nous devions empêcher de nous attaquer en le menaçant d’un prix d’entrée exagéré.» Cette phrase a été prononcée aujourd’hui – sept ans après la votation sur l’initiative populaire «pour une Suisse sans armée et une politique globale de paix» – par un homme qui a autrefois incarné et organisé comme nul autre les valeurs militaires: le divisionnaire Gustav Däniker.

Dans un livre paru depuis peu sur «les stratégies suisses d’affirmation de soi», Däniker se pose des questions, par lesquelles le GSsA a secoué, dans les années 80, la certitude suisse d’être un «Sonderfall»:1 est-ce que la Suisse ne devrait pas – comme elle est entourée exclusivement de démocraties à l’occidentale – se décider à une collaboration avec d’autres pays? Car peut-on encore nier que «la sécurité, au 21e siècle, ne peut plus être réalisée par «l’Alleingang2 mais au contraire exigée par une coopération dès le début»?

Däniker n’est certes pas le seul qui, depuis 1989, a dû adapter ses ennemis virtuels et ses fantasmes de guerre à un monde qui n’était plus en adéquation avec son idéologie d’intimidation. Même la Société Suisse des Officiers (SSO) l’a compris: il est douteux, a laissé entendre la SSO en relation avec les récents remous provoqués par l’affaire des CD-ROMs du DMF, que la connaissance d’informations militaires secrètes puisse être utilisée d’une façon générale pour nuire à la Suisse: «Car quel agresseur pourrait somme toute avoir l’intention d’utiliser ces informations contre notre pays?»

1. Une Suisse sans armée – juste une provocation?

Est-ce que les adversaires de jadis sont tombés d’accord? Est-ce que la Suisse officielle s’est engagée sur la voie d’une politique globale de paix? Le militarisme suisse bat-il en retraite? Est-ce que l’armée s’abolit finalement d’elle-même?

La réponse est non! Il est vrai que les militaristes ont perdu leur vieil ennemi virtuel. Cependant, depuis 1989, le DMF s’efforce de rechercher de nouvelles tâches pour l’armée. «Politique de sécurité», voilà le nouveau nom du concept de défense, avec lequel les militaires veulent légitimer leurs appareils high-tech. «Armée 95», c’est le nom de code de l’adaptation organisationnelle et du réarmement et renouvellement des armes des troupes. L’armée devrait devenir «multifonctionnelle» et «subsidiaire», en d’autres mots prête à être engagée contre tous les dangers imaginables et tous les domaines sociaux. L’armée suisse du futur ne déduira plus son bien-fondé sur le fait qu’elle contribue soi-disant à la prévention de la guerre, mais sur le fait qu’elle s’adapte aux affaires politiques quotidiennes.

Les scandales les plus récents sur les exercices de la troupe, contestables du point de vue politique, ne sont que la pointe de l’iceberg – contre les chômeurs, les paysans et les cheminots, contre la «Padanie», contre une France dirigée par des «fondamentalistes», contre une Allemagne «fautrice de troubles» et contre des «terroristes slaves.» De même lorsque l’armée s’exerce à s’engager aux frontières contre les réfugiés; ou bien lorsque des soldats sont détachés au contrôle des réfugiés; ou lorsque les militaires se profilent pour le combat de catastrophes naturelles, sous la lumière des projecteurs des conférences pour la paix et des fêtes aux drapeaux, ou pour la surveillance d’agences de voyage turques; lorsque enfin l’armée fournit l’aide médicale et technique suisse pour les missions internationales de paix,3 pour tout cela, il s’agit de présenter l’armée comme une solution à ces problèmes civils.

La «sécurité» est toujours plus interprétée dans cette perspective comme une préparation permanente à la défense militaire contre des dangers qui sont clairement non militaires. La création d’une nouvelle «direction de la sécurité» dans le canton de Zurich, où sont regroupés le domaine de compétence de l’ancien département militaire et de la police avec la prévoyance publique, les affaires intérieures, l’asile et l’aide à la jeunesse, est un pas de plus dans cette direction.

2. Que signifie «sécurité»?

Notre société ne peut plus se permettre cette confusion. La «défense» militaire se base sur l’enfermement dans les frontières. Elle méconnaît les causes des conflits, elle punit les faibles et occasionne des coûts qui deviennent de moins en moins supportables même pour les «gagnants» dans le combat mondial pour la répartition des ressources.

Aujourd’hui, une série de bombes à retardement sociales et écologiques menacent d’exploser. En Suisse, il n’y a jamais eu autant de chômeuses et chômeurs. L’économie est dans une récession profonde. Des centaines de milliers de gens sont chassés du marché du travail et les sécurités sociales, qui ont garanti à la Suisse bien-être et stabilité pendant des décennies, fondent comme neige au soleil. La question de l’intégration européenne menace de diviser le pays. La forêt continue de mourir sans que personne ou presque ne s’en aperçoive. Le trafic et la consommation d’énergie croissent de manière ininterrompue, et dans le même élan, les problèmes de pollution de l’air, de la destruction de l’agriculture et des déchets nucléaires arrivent à un point critique. A tous ces problèmes, il n’y a pas de réponse militaire.

Les affrontements sociaux augmentent aussi à travers le monde. Les marchés financiers déchaînés provoquent des conflits entre les nations, qui deviennent de moins en moins gouvernables politiquement. Les magnats de l’économie, les économistes néolibéraux et autres idéologues de la «globalisation» parlent, à propos des pays industrialisés, non plus d’une société où les deux tiers des gens sont intégrés, mais déjà de laisser les quatre cinquièmes des gens sur le carreau. 358 milliardaires sont aussi riches que 2,5 milliards d’êtres humains, près de la moitié de la population mondiale. Dans le même temps, les réserves mondiales de céréales ont atteint un plancher historique. Cette politique a déjà poussé plusieurs centaines de millions de personnes à l’exode. Chaque semaine, un million d’entre eux cherchent refuge dans les bidonvilles des grandes métropoles, la plupart dans le Tiers-Monde. La destruction de notre environnement – une autre cause des flux migratoires mondiaux – continue. La couche d’ozone rétrécit, on détruit la forêt tropicale, poumon pour la régénération de l’air, et les changements climatiques à cause humaine bouleversent déjà maintenant les calculs des grandes compagnies d’assurance.

Contre tous ces dangers, l’armée ne peut esquisser le moindre geste. Ces problèmes n’ont pas besoin d’armes et de discipline militaire, mais d’inventivité politique et d’engagement civil. C’est prévisible: les tentatives de solution militaire ne supprimeront en aucun cas les causes de ces menaces, et les accentueront même la plupart du temps. L’armée est antidémocratique, elle cause des dommages à l’environnement et, par son gaspillage des ressources et de l’argent, à l’économie de ce pays. En temps de paix, elle détruit justement les valeurs qu’elle prétend défendre en cas d’une guerre toujours plus improbable, et en fin de compte elle n’assure pas notre sécurité. Bref, l’armée est une partie du problème, et non pas sa solution.

3. La Suisse ne doit-elle pas être défendue avant tout militairement?

Malgré un langage militaire renouvelé et de prétendues réformes, l’armée se tourne encore vers le passé.

Sa taille seule le montre déjà: avec 400’000 hommes, la Suisse s’offre une des plus grandes armées européennes. La plupart des pays européens ont ramené leurs institutions militaires à un niveau “acceptable”: les Pays-Bas se contentent aujourd’hui de 74’000 membres de l’armée, la Suède de 64’000, le Portugal de 54’000, la Belgique de 47’000 et le Danemark de seulement 33’000 hommes.

La Suisse n’est pas menacée de guerre dans un terme prévisible. Les experts de sécurité comme Kurt R. Spillmann, directeur du département des sciences militaires de l’école polytechnique fédérale de Zurich, confirment à qui veut l’entendre qu’«il n’y a aucune perspective d’une grande guerre européenne.» Pourtant les hauts responsables de l’armée et le gouvernement tiennent ferme à la «mission de défense» obsolète.

Mais que signifierait «défense» si l’Europe occidentale – contre toute probabilité – était tout de même frappée un jour par la guerre? Précisément, la vulnérabilité des États fortement industrialisés fait de la défense militaire une tentative de suicide – même si «seules» les armes conventionnelles sont engagées. En Europe, il y a largement plus de 200 centrales nucléaires en service. Même si, dans une situation de guerre, seule une infime partie était détruite, le continent entier serait contaminé par la radioactivité. Dans la région industrielle de Bâle, des produits chimiques dangereux par tonnes sont produits, transformés, stockés et transportés, qui présentent déjà des risques énormes en temps de paix. Une défense militaire est impensable.

En 1989 encore, le Conseil fédéral a affirmé comme argument contre l’abolition de l’armée que des petits pays sans armée comme le Costa Rica, Andorre, le Liechtenstein et le San Marino «partagent réellement le destin en matière de sécurité extérieure des grands États voisins.» Ceci ne devrait-il pas être aussi valable pour la Suisse? Assurer la paix signifie aujourd’hui établir et conserver la stabilité entre Etats. Mais la Suisse officielle se refuse de tirer les conséquences qui en découlent: abolir l’armée de défense nationale et s’engager pour une politique de paix et de sécurité internationale.

4. Pourquoi un Service Civil pour la Paix?

Le chef d’état-major Arthur Liener lui même constatait: «Ni l’OTAN ni l’UEO4 n’ont besoin d’être renforcés par des bataillons de l’armée suisse.» Et le ministre de la défense américain, William Perry, lors de sa visite à Berne en février 1996 estimait qu’en Bosnie il y avait suffisamment de forces militaires mais pas assez de moyens pour reconstruire les infrastructures et l’économie détruites par la guerre, d’où sa demande à la Suisse pour qu’elle fournisse une contribution civile.

Mais les moyens civils pour la prévention et la solution des conflits restent encore insignifiants en comparaison de ceux consacrés à la conduite militaire des conflits. Le budget annuel de l’OTAN, organisation purement militaire, s’élève à 1200 millions de FrS alors que l’OSCE5 qui agit avec des moyens civils, ne peut compter que sur 30 millions de FrS par an. La paix à long terme ne s’obtient pas par un déploiement massif de chars d’assaut et d’avions de combat de tous les côtés, mais en assurant la liberté politique et la justice sociale. Les conflits qui menacent d’éclater peuvent être désamorcés par un travail de médiation basé sur une évaluation honnête des réelles causes du conflit.

Aussi dans le cas de conflits violents déjà en cours, toute une série de possibilités ont déjà été testées avec succès pour renverser le processus d’escalade des conflits. Malheureusement, jusqu’ici, ils n’ont été employés que par des petites organisations non gouvernementales qui ne disposaient que de moyens limités.

Enfin, même après la fin des guerres, une paix durable n’est pas possible sans réconciliation, rétablissement économique et punition des criminels de guerre.

Dans ces domaines la Suisse peut jouer un rôle important. Elle pourrait s’appuyer sur les acquis démocratiques de la population suisse. Les meilleurs instruments pour une politique extérieure crédible seraient l’extension des bons offices et le développement des moyens de solution non violente des conflits, unis à une politique économique et de défense des droits humains cohérentes.

Même les militaires, qui aujourd’hui se veulent un peu partout «constructeurs de paix» sont de plus en plus conscients de l’importance de ces composantes civiles. Aussi l’armée suisse, tout en poursuivant sa préparation pour la guerre, affirme de plus en plus fortement sa compétence pour la paix également. Dans un article sous le titre «Officiers de milice dans des missions pour la paix» le rédacteur en chef de la Revue Militaire Suisse (oct. 96), affirmait: «Je connais des officiers de milice qui seraient très intéressés à accomplir leur service militaire dans le cadre de missions pour le maintien de la paix.» Cet esprit d’ouverture de la très conservatrice société Suisse des Officiers est à prendre positivement, mais il montre aussi des dangers: les militaires veulent étendre leur emprise sur les domaines civils et s’approprier ainsi entièrement la tâche de la paix. Face à cette évolution qui se dessine, nous demandons que soit créé un service pour la paix, qui permettrait de répondre à des demandes de solution de conflits venant de partout dans le monde avec une contribution solidaire de la Suisse.

Dans le cas où le service militaire serait maintenu, et, partant, l’obligation d’accomplir un service civil alternatif pour ceux qui refusent le service, il y aurait la possibilité de suivre une formation de base à la gestion des conflits et de s’engager dans le service pour la paix. Les jours de formation et de service seront comptabilisés comme des jours de service obligatoire.

5. La guerre en ex-Yougoslavie n’a-t-elle pas démontrée que nous avons besoin d’une armée?

Sur les 94 conflits armés qui, depuis 1989 ont ensanglanté le monde, 90 étaient des conflits intérieurs à des États, et seulement 4 étaient des conflits entre différents États. Dans la plupart des guerres actuelles les armées terrorisent leur propre population. Au début de la guerre la Yougoslavie disposait d’une des plus grandes armées en Europe: 180’000 soldats dans l’armée et 2’200’000 réservistes dans la «défense territoriale.» Pendant les années de guerre, nous avons appris à connaître ce que signifie le retraçage des cartes géographiques par les militaires: 3 millions de personnes ont été contraintes à fuir leur domicile, presque 300’000 personnes, civils et militaires, ont été tuées. L’ex-Yougoslavie montre tout le mal qu’une armée peut faire à son propre pays. Le problème c’était l’existence de l’armée, pas son absence.

Face à l’escalade militaire, les gouvernements européens ont montré leur manque de sensibilité politique pour empêcher cette guerre. La communauté internationale aurait pu éviter beaucoup d’horreurs si elle avait fourni une aide politique et économique, liée à des conditions politiques précises, à toutes les parties en cause avant le déclenchement des hostilités. Cela n’aurait coûté qu’une fraction de l’argent déboursé plus tard pour financer les interventions militaires. Après 4 ans de guerre la situation d’impasse sur place et la pression politique et militaire internationale ont porté à la signature des accords de paix. Les accords de Dayton valent plus qu’un cessez-le feu mais aussi bien moins que la paix. Ces accords sont avant tout une déclaration d’intentions qui restent très vagues sur beaucoup de points et qui laissent les différentes parties libres de les interpréter comme mieux leur semble. Il faut espérer que ces accords soient pour la Bosnie plus qu’une simple continuation de la guerre avec d’autres moyens. Le cheminement vers une paix durable est encore très long et difficile et il est évident qu’il ne peut pas être accompli par des soldats.

La situation en Bosnie-Herzégovine démontre clairement que la paix ne peut pas être imposée d’en haut, mais que les conditions pour une paix stable nécessite d’abord la réconciliation dans la population, et cela ne peut être obtenu qu’avec un travail en profondeur, effectué à la base de la société, parmi la population. Les unités armées de l’ONU ou de l’IFOR, présentes en Ex-Yougoslavie avec 40’000 hommes ne sauraient constituer une justification pour la nécessité de l’armée Suisse. Ces interventions n’ont rien à voir avec une institution militaire qui pratique l’«Alleingang armé» de ses 400’000 soldats. Le fait que les engagements civils (par ex. ceux des bérets jaunes suisses en Bosnie) soient actuellement presque exclusivement effectués par des officiers de haut rang est plutôt l’indice d’un déficit: il manque une structure civile qui pourrait effectuer ces tâches de façon beaucoup plus complète. Un Service Civil pour la Paix donnerait la possibilité, même à des cadres militaires motivés pour un engagement pacifique, de collaborer avec d’autres forces de la société civile dans le travail de construction de la paix.

6. Combien coûte la défense nationale armée?

Chaque habitant-e de la Suisse – y compris les enfants, les chômeurs et les étrangers – paye en moyenne 950 francs chaque année pour la défense nationale. Avec la Norvège, la Suisse a ainsi la défense nationale la plus chère par habitant de toute l’Europe. Les dépenses directes de la Confédération, des cantons et des communes pour la défense nationale s’élèvent à plus de 6,6 milliards de francs. A cela il faut ajouter les coûts indirects: pour le service militaire l’économie continue à compenser les salaires de ses employés appelés au cours de répétition. Les 7,5 millions de jours de service prêtés en 1996 (sans compter ceux de la Protection Civile) constituent autant de journées productives enlevées à l’économie. Selon le DMF les coûts économiques qui en découlent de ce transfert s’élèvent à 3 milliards de francs par année; les estimations d’experts indépendants sont encore supérieures. De même que les coûts directs, ce sont aussi les coûts indirects sont payés par l’ensemble de la société. L’addition globale pour la Défense nationale armée du pays s’élève ainsi à environ 13 milliards de francs chaque année.

En 1994 les dépenses militaires dans le monde s’élevaient à 822 milliards de $ US -environ 1’000’000’000’000 de francs suisses, – alors que pour la paix on a dépensé 40 fois moins, à peine 20 milliards de $ US.

Les «dividendes de la paix» tant espérés après la fin de la guerre froide se font encore attendre. En investissant dans la paix plutôt que dans la préparation de la guerre, la Suisse pourrait contribuer à corriger quelque peu cet énorme déséquilibre.

7. Une Suisse sans armée ne produira-t-elle pas des milliers de chômeurs?

Ce n’est pas la suppression de l’armée, mais l’armée elle-même qui représente une menace sérieuse pour la position économique de la Suisse. Chaque année, l’économie subventionne la défense nationale à hauteur de plusieurs milliards et subit par conséquent un désavantage concurrentiel certain. Les mêmes politiciens et entrepreneurs, qui chargent l’économie de ce fardeau énorme, licencient sans scrupules et refusent d’accorder une assurance-maternité aux femmes au nom de la capacité concurrentielle et de la défense de la place économique suisse.

Les emplois dans le secteur militaire sont parmi les plus chers et les moins productifs. Les coûts globaux des quelque 30’000 places de travail actuelles dépendant de l’armée se montent à plus de 10 milliards de francs, c’est-à-dire plus de 330’000 francs par place. Des personnes dans l’économie civile pourraient trouver une occupation pleine de sens avec une fraction minime de cette somme, et ainsi contribuer à notre sécurité écologique, économique et sociale.

C’est vrai: la reconversion d’emplois militaires en emplois civils n’est pas simple. Le DMF devrait pourtant s’atteler à cette tâche déjà aujourd’hui. Depuis 1990, 3’331 places de travail, sur les 16’843 restantes, ont été supprimées dans l’administration du DMF et dans les entreprises publiques d’armement. Le concept «Armée 95» prévoit une réduction à 15’000 places et le Conseiller fédéral Adolf Ogi a d’ores et déjà annoncé une diminution supplémentaire d’effectifs. En tout, un quart de tous les emplois dépendant de l’armée, dans l’industrie privée et dans le secteur public, ont été rayés depuis six ans. Les dépenses de la Confédération pour la défense nationale sont restées dans le même temps pratiquement stables.

«Plus de muscle – moins de graisse», voilà la solution d’Armée 95. Le DMF entend par là: s’armer et supprimer des emplois. Avec une petite partie de l’argent actuellement gaspillé pour l’armée, on pourrait offrir une reconversion durable et autrement utile pour les employés du DMF et les entreprises dépendantes de l’armée.

8. L’armée: facteur d’identité dans la société pluraliste?

Face au Röstigraben et à l’insécurité sociale, l’on essaie à nouveau de faire de l’armée le fondement de l’identité nationale. Pourtant, la société suisse ne se compose pas seulement d’hommes aptes au service militaire avec le passeport à croix blanche. Les temps sont heureusement révolus où les femmes n’étaient pas des citoyennes à part entière. En outre, la population étrangère, celle qui contribue à la diversité de notre société, n’est pas soumise à l’obligation de servir.

Si l’armée a pu une fois donner réellement une identité nationale à certaines couches masculines de la population, cela n’est certes plus le cas au seuil du XXIe siècle. Une grande partie des astreints au service militaire de tous âges voudraient bien plutôt se débarrasser de cette identité contrainte. Depuis des années, on assiste à un réel exode des rangs de l’armée suisse. Plus de 20’000 hommes par année s’occupent de leur désarmement personnel en se faisant exclure pour des raisons de santé ou psychiques.

Non seulement l’armée parvient à motiver de moins en moins d’hommes au nom de menaces fantaisistes et irréalistes, mais encore, elle devient un boulet pour ceux qui veulent faire carrière. La manière militaire de conduire des hommes est considérée comme dépassée. Le fait que de nombreuses entreprises préfèrent voir leurs employés à leur place de travail plutôt qu’à l’armée pèse encore plus lourd. Et les personnes de professions libérales n’ont aucune envie de perdre leur temps avec des jeux de combat douteux. De même, l’armée a de grandes difficultés à trouver des gens qui sont prêts à grader.

Puisque nous parlons d’identité: celle qui doit être transmise là ne peut nous laisser indifférents. L’identité militaire contredit radicalement l’idéal démocratique, qui est par ailleurs mis en valeur. Le «citoyen en uniforme» apprend la soumission aux ordres et à la pression du groupe, il apprend à supporter humiliations et tracasseries ainsi qu’à accepter injustices et intimidations, bref: il apprend le contraire des qualités qui devraient faire de lui un citoyen responsable dans le quotidien et aux urnes.

Il résulte de ce mélange malsain entre «receveur d’ordres humilié» et «gaillard dur avec arme» un type d’homme considéré comme «l’homme véritable.» Mais de nombreux hommes n’ont pas envie de devenir un tel symbole. Ainsi, l’école de recrues se passe de façon traumatisante. Et les femmes peuvent avec raison n’avoir aucun intérêt pour de tels «hommes.» Car l’ordre symbolique que l’armée prétend produire se propose certes de protéger les femmes, mais cette image s’inverse très vite et montre son revers: le féminin comme sans défense, comme champ de bataille à conquérir, élément par lequel l’adversaire peut être humilié. Chaque guerre est un triste enseignement par l’exemple de la réalité de cette symbolique. Même aussi longtemps que l’armée ne fait que s’exercer, la rhétorique du viol dans la langue des soldats est un outrage permanent, si ce n’est même une menace pour les femmes.

L’isolement et la désolidarisation sont des problèmes à prendre au sérieux dans la société moderne. Mais la solidarité ne s’obtient pas par la force, et surtout pas par la force d’une institution dans laquelle on s’exerce au meurtre organisé du plus possible d’êtres humains. Pour l’échange par-delà les frontières sociales, linguistiques et culturelles, il existe des lieux plus appropriés que les tranchées ou les casernes. Nous voulons créer des espaces de rencontre dans lesquels une collaboration constructive est possible. Avec le second projet d’initiative, nous aimerions établir un lieu de discussion dans lequel on peut apprendre à gérer les conflits, dans les domaines privé et public, sans utilisation de la violence.

9. Déjà une nouvelle initiative?

La votation sur l’initiative «Pour une Suisse sans armée et une politique globale de paix» n’a pas dix ans et le GSsA prépare déjà deux nouvelles initiatives avec des idées pour une politique de sécurité alternative pour la Suisse du XXIe siècle. La question se pose: n’agissons-nous pas avec trop de précipitation?

Les défis existentiels que le GSsA et d’autres mouvements sociaux ont déjà thématisé dans les années 80 sont à nouveau arrivés depuis à leur point critique. Les questions fondamentales sont plus pressantes qu’alors; la réponse aux problèmes économiques, sociaux et écologiques de notre pays et finalement de la terre entière est-elle l’enfermement dans les frontières et même la défense militaire des «gagnants» contre les «perdants»? Dans un tel scénario, y a-t-il après tout encore à long terme des «gagnants»? Ou alors devons-nous essayer de venir à bout de ces problèmes plutôt par une politique de paix solidaire, qui diminue les causes des conflits et qui recherche des possibilité de résolution civile des conflits existants?

L’abolition de l’armée suisse n’apportera pas la paix mondiale, mais elle augmentera massivement les chances de la Suisse d’amener une contribution intelligente et solidaire à la résolution de ces problèmes et conflits. Cette discussion est d’actualité et nos initiatives doivent donner à toute une nouvelle génération la possibilité d’y participer. Celui ou celle qui jouait encore au jardin d’enfant en 1989 doit pouvoir voter sur l’armée autour de l’an 2003.

Depuis 1989, les choses ont aussi changé de manière décisive. Les militaristes ont perdu leur ennemi virtuel de l’est, mais ils déploient une énergie sans pareil à lui trouver un remplaçant. Qu’est-ce que ou qui parviendra la prochaine fois à leur viseur? Notre initiative «la sécurité au lieu de la défense» veut contester la militarisation du concept de «sécurité» et le remettre sur un plan pacifiste par les domaines civils attenants, et ainsi arrêter cette tendance inquiétante.

Après la suppression du conflit est-ouest, les armées d’Europe de l’ouest essayent de se trouver une nouvelle justification à travers une politique militaire internationale. Il n’y a presque pas de discussion publique à ce sujet. Mais une politique de sécurité ne doit pas être seulement discutée par les gouvernements. Une participation critique des citoyennes et citoyens est nécessaire. Les deux initiatives du GSsA devraient le garantir, car le mot «paix» menace aussi chez nous de devenir une notion de combat de militaires en mal d’intervention.

Par conséquent, l’initiative «la sécurité au lieu de la défense» n’abolira pas seulement l’armée, mais englobera aussi une discussion sur le futur rôle de la Suisse dans des missions internationales de paix. Est-ce que la Suisse devrait soutenir une ONU démocratisée pour le recrutement de troupes internationales de paix? Est-ce que le tribunal international pour les criminels de guerre à La Haye doit obtenir des compétences de police, et quelle devrait être la contribution de la Suisse à cela? Le texte d’initiative présenté permet de présenter de telles questions d’avenir d’un point de vue pacifiste, sans que les réponses soient déjà tranchées avec l’acceptation de l’initiative.

Mais c’est avant tout la deuxième initiative «la solidarité crée la sécurité» qui est centrée sur la résolution civile des conflits. Le besoin de connaissance de possibilités de résolution non violente des conflits croît dans tous les domaines – également dans notre propre société. C’est pourquoi nous voulons créer un cours de base d’une durée d’un mois, ouvert à toutes et tous. En plus, la Suisse pourrait développer, avec le service suisse pour la paix, un instrument au service d’associations et de mouvements de la société civile, qui travaillent à promouvoir la protection des minorités, des catégories sociales fragilisées, des populations sous-développées et de l’environnement naturel. Il sera possible ainsi de faire face aux réels dangers qui menacent la sécurité de la Suisse et de ce monde dont elle fait partie, avec l’aide de moyens en personnel et en matériel mis à disposition par la Confédération. Dans les zones où les conflits menacent, sans attendre que la guerre éclate et qu’il ne soit trop tard, des hommes et des femmes pourront être envoyés comme médiateurs, comme observateurs des droits humains, ou encore pour surveiller des élections dans le cadre d’une organisation intergouvernementale.

Ce travail n’est pas un terrain inconnu pour la Suisse, mais la création d’un service suisse pour la paix lui donnerait à l’avenir des ressources financières et humaines nécessaires pour ce travail.

10. Nous devons intervenir!

Toutes ces réflexions montrent clairement que nous ne devons pas laisser le débat sur la future «politique de sécurité» au DMF, à ses officiers d’état-major général, et à quelques experts de sécurité. L’armée n’a pas d’avenir. Mais l’avenir de notre sécurité nous concerne toutes et tous d’une certaine manière. Les deux initiatives «La sécurité au lieu de la défense» et «la solidarité crée la sécurité» rendent la discussion à ce sujet possible, une discussion à laquelle l’ensemble de la population peut prendre part.


1 Mot signifiant «cas à part», «exception». [ retour à l’appel de note ]

2 «marche solitaire», théorie politique d’isolation de la Suisse, sans conclure d’alliance économique et militaire. [ retour à l’appel de note ]

3 Les 80 «bérets jaunes» suisses envoyés en Bosnie sont tous des gradés à l’armée qui s’occupent de tâches non militaires: distribution de courrier, réparation de véhicules et soins médicaux. [ retour à l’appel de note ]

4 OTAN: Organisation du Traité de l’Atlantique Nord. C’est l’alliance militaire créé par les Etats Unis et les puissances d’Europe occidentale pour faire face à la «menace communiste» en Europe. UEO: Union de l’Europe Occidentale: c’est un doublon purement européen de l’OTAN. [ retour à l’appel de note ]

5 Organisation pour la Sécurité et la Coopération en Europe. [ retour à l’appel de note ]

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