Ce mercredi matin, il fait gris et Anja et moi prenons le train tôt pour nous rendre à la caserne militaire de Birmensdorf. Quelques semaines plus tôt, nous avions reçu la convocation dans notre boîte aux lettres et aujourd’hui, nous nous rendons donc à la journée d’orientation de l’armée pour les femmes.
La Ministre de la défense Viola Amherd veut rendre la journée d’information pour les femmes obligatoire. Ses arguments centraux sont l’égalité et le maintien des effectifs de l’armée. Nous avons donc décidé de voir ce qu’offre la manifestation en question.
Perspectives féminines
Nous faisons donc la queue avec beaucoup d’autres jeunes femmes. Après nous être enregistrées, nous sommes réparties dans des salles de classes en groupes de dix. Une image de femmes en tenue militaire est projetée au mur, elles regardent la caméra, sûres d’elles. Sur fond mauve, on peut lire : von Frau zu Frau (d’une femme à une autre, ndlt). Sur nos tables, nous trouvons une brochure informative et du chocolat militaire.
Une femme membre de l’armée nous accueille : “Aujourd’hui, nous nous tutoyons, ce ne sera plus le cas à l’armée”, dit-elle, amusée. Toute la matinée, nous recevons des informations sur les possibilités d’engagement et de carrière dans l’armée. Le repas de midi consiste en une portion de cornettes avec de la viande hachée. En discutant avec d’autres femmes présentes, je me rends compte que leurs motivations sont plutôt d’ordre personnel : certaines d’entre elles veulent intégrer l’école de police, d’autres cherchent un défi personnel ou des possibilités de carrière. Un élément n’est cependant jamais cité : la situation sécuritaire ou ce que ce que signifierait concrètement d’être soldate en cas d’attaque. Cet aspect, le Conseiller d’Etat zurichois Mario Fehr est le seul à le soulever dans son discours qu’il tient après le repas de midi. Il souligne l’importance de notre engagement compte tenu de la situation sécuritaire.
Le programme de l’après-midi continue sans pause : nous faisons des tests de personnalité, nous essayons du matériel militaire, testons des fusils d’assaut et regardons différents types de chars. À la fin, nous recevons des astuces pour améliorer notre score lors du recrutement grâce à l’application développée par l’armée.
Des modèles de service pour une vraie égalité
Dans le train du retour, je suis un peu fatiguée de cette expédition dans un monde parallèle. C’est surtout l’argument de l’égalité qui me taraude : les femmes membres de l’armée avec qui j’ai discuté ont des approches différentes des devoirs des femmes. Pour beaucoup d’entre elles, il est important de montrer qu’elles peuvent en faire autant que les hommes en pénétrant dans un domaine plutôt masculin. À l’armée, les droits et les devoirs sont les mêmes pour tout le monde – les femmes doivent toutefois en faire dix fois plus pour recevoir la même reconnaissance, m’a-t-on souvent dit aujourd’hui.
“La sécurité est aussi une affaire de femmes”, ce slogan du DDPS est omniprésent lors de cette journée. Il nous occupait déjà avant, car il passe sous silence le fait que les femmes contribuent déjà fortement à notre sécurité grâce au travail de care non-payé. Par ailleurs, il semble illusoire de parler des mêmes droits et devoirs dans un pays où les hommes gagnent toujours 2,5 % de plus que les femmes, et ce sans raison, où toutes les trois semaines, une femmes est tuée par un homme et que seules 10 des 100 plus grandes entreprises sont dirigées par des femmes.
En tant que féministes et antimilitaristes, nous devons aller au-delà de la discussion sur les droits et devoirs. Car le patriarcat et le militarisme ne deviennent pas plus acceptables si les femmes y sont mieux représentées. Notre mouvement féministe s’engage pour une société plus juste et l’égalité, ce n’est pas forcer les femmes à aller à l’armée, c’est faire en sorte que les hommes ne soient plus forcés d’y aller. Pour le GSsA, il est donc clair que nous continuerons à nous battre contre toute contrainte lorsqu’il s’agit des femmes à l’armée.