Ruag : Un scandale qui n’en finit pas

Le mois d’août 2023 fût un mois rempli d’enseignements pour qui s’intéresse au secteur de l’armement suisse et à son fonctionnement, ou plutôt à son dysfonctionnement.

En effet, suivant la démission le 7 août dernier de la directrice de l’entreprise Ruag, un flot presque continu de révélations concernant cette société déferla sur la Suisse, révélant au passage la gestion catastrophique de Ruag aux yeux du public. 

Il a tout d’abord été révélé que Ruag, après avoir été approché par le groupe allemand Rheinmetall qui souhaitait acquérir 96 chars Leopard 2 afin de les livrer à l’Ukraine, avait décidé de poursuivre cette transaction malgré le refus que lui avait adressé le SECO en début d’année. Faisant croire à l’Allemagne que la transaction pourrait tout de même aboutir, Ruag décida d’aller de l’avant dans cette affaire, au point où Rheinmetall alla jusqu’à former un nouveau contrat concernant ces mêmes chars avec les Pays-Bas, pays qui se chargerait de les livrer à l’Ukraine. Problème, cette autorisation ne fût jamais donnée, menant à d’intenses pressions de la part de l’Allemagne et des Pays-Bas sur le Conseil fédéral afin de mener à bout cette transaction, ce qui n’arriva heureusement pas. 

Ruag, une entreprise spécialisée dans le matériel de guerre, détenue à 100% par la Confédération, a donc consciencieusement essayé de faire fi du règlement entourant les exportations de matériels de guerre suisse et de tromper d’autres partenaires, le tout résultant en une crise diplomatique. Cette indiscipline de la part de Ruag est on ne peut plus inquiétante de la part d’un groupe travaillant dans le domaine de l’armement, et a porté un coup à la crédibilité de la Suisse à l’international.

Mais, comble de la blague, il s’est ensuite avéré que 25 de ces chars avaient en fait déjà été vendus auparavant à un autre groupe allemand, GLS, pour 500 CHF pièce alors que Ruag les avait achetés à l’Italie 45’000 CHF pièce en 2016. Ruag, entreprise aux compétences de gestion visiblement brillantes, aura donc tenté de vendre les mêmes chars à deux entreprises différentes, dont une fois pour une fraction du prix auquel elle les avait achetés. Pour arranger le tout, nous apprenions peu après qu’un collaborateur du groupe était poursuivi en Allemagne pour corruption dans l’affaire de la vente de ces 25 chars. 

Incompétence, corruption, perte de millions de francs, irrespect de la loi de neutralité : le bilan est lourd pour Ruag. Une affaire comme celle-ci ne pourrait être tolérée nulle part ailleurs et ne peut d’ailleurs pas l’être aujourd’hui non plus. La démission de la directrice du groupe, Brigitte Beck, ne suffit pas. Ruag est de toute évidence devenu hors de contrôle et le risque que pose l’insoumission d’une telle entreprise face à la loi ne peut être pris à la légère. 

Au-delà de la simple entreprise, l’implication du Département de la Défense dans cette histoire est également le sujet de beaucoup de suppositions étant donné les liens étroits que celui-ci possède avec Ruag. Aussi, il semblerait étrange que Viola Amherd n’ait absolument rien su de cette histoire. Entre manque de contrôle sur une entreprise étatique hautement stratégique, ou complicité dans ce scandale, on ne sait pas exactement quelle option serait véritablement la pire pour le DDPS. Une chose est sûre, pour éviter que l’entreprise ne puisse encore à l’avenir faire perdre la face à la Suisse comme elle l’a fait, et pour contribuer à un monde plus pacifiste, il est essentiel que Ruag abandonne entièrement l’industrie de l’armement et concentre à l’avenir ses activités uniquement sur le domaine civil.