L’état de sidération empêche de penser. Avec les outrecuidances en rafale de Donald Trump : même les « observateurs avisés » semblent ne plus s’y retrouver.
Pour les uns, il exigerait juste trop afin d’obtenir beaucoup. Pour d’autres, cela relèverait de l’imprévisibilité du personnage et, pour les plus sophistiqués, de l’adoption par Trump de la « Madman Theory », qui suppose qu’un dirigeant mentalement dérangé dispose d’atouts particuliers dans les négociations.
Tout cela banalise la portée de ses propos.
Dire l’indicible
D’après un éditorial du journal Le Temps (6 février), « les paroles du président sont en elles-mêmes performatives : elles se réalisent, ne serait-ce qu’en partie, rien qu’en les énonçant ».
Les lances qu’il rompt pour une société blanche, virile et disciplinée donnent des ailes aux néofascistes de partout à l’image du récent grand raout à Madrid en présence des principales gâchettes de l’Internationale noire.
Car, dire l’indicible libère l’impensable. Les liens sont évidents entre les saluts aryens d’Elon Musk et le regain en Europe de défilés nazis, avec le « Heil ! » vociféré par un élu lors d’une séance municipale à Genève.
Des paroles et des actes.
Loin de la velléité, les déclarations du duo Trump-Musk se concrétisent déjà dans la réalité étasunienne. Ainsi, l’administration procède à l’épuration des services de sécurité, FBI en tête, ce qui n’est pas sans évoquer la nazification de la police allemande dès 1933.
En même temps, elle a commencé à s’en prendre à une partie du corps enseignant, aux programmes scolaires -qu’elle entend « épurer des scories gauchistes »- et aux éléments « peu fiables » de l’armée et des agences étatiques.
Malgré des chicanes juridiques, c’est au nom de « la libération des forces vives », que la nouvelle équipe démantèle l’Etat en supprimant des centaines de milliers d’emplois et ferme USAID.
Jouir sans entraves.
Anéantir la capacité de régulation de l’Etat, c’est supprimer les limitations -sociales, sanitaires, environnementales…- à la libre entreprise.
Couplée à la réduction des impôts pour les riches et à la hausse des taxes douanières, la mesure -qui séduit de jeunes « penseurs » d’Helvétie- vise à attirer les investisseurs et les sociétés aux USA où elles pourraient s’épanouir sans entraves.
Il en va de même pour les principales organisations internationales -OMS, CPI, COP- que Trump frappe de sanctions, puisqu’elles limitent les droits des USA et de leurs multinationales.
Ces mesures instaurent un régime de dumping global qui réorganise à la faveur des USA l’économie mondiale, avec des conséquences pour les peuples, entravés, eux, dans leur développement.
Effet garanti.
Deux exemples démontrent la nature « performative » des paroles du président.
Lorsqu’il annonce sa volonté de vider Gaza pour la transformer, y compris par une prise de contrôle armé, en une sorte de Riviera du Moyen Orient, sans Palestiniens, il peut le lendemain faire marche arrière sur les moyens.
En effet, tandis que le ministre israélien Bezalel Smotritch applaudit -« le plan Trump est la vraie réponse au 7 octobre »-, le chef d’Etat major de Tsahal ordonne l’élaboration d’un plan d’évacuation de Gaza.
La même logique vaut pour Panama. Après que Trump eut affiché sa volonté de réappropriation du canal, une visite de quelques heures du secrétaire d’Etat US Marco Rubio a suffi pour que le gouvernement panaméen se retire de l’accord sur les « nouvelles routes de la soie » garantissant à la Chine des facilités d’accès au canal.
Et ils ont les muscles…
Et si la parole trumpienne était insuffisamment « performative », sa junte techno-fasciste dispose de moyens de coercition majeurs.
Si Al Sissi renâcle face à la perspective d’accueillir en Egypte un million et demi de Gazaouis, Trump a de quoi le « raisonner ». Il pourrait mettre fin aux livraisons d’armes à l’Egypte et à l’aide annuelle de plus d’un milliard de US$ que les USA lui fournissent.
Et si cela ne devait toujours pas fonctionner, resterait toujours le recours à la force. Car, à la différence des fanfaronnades du poivrot de service, celles de Trump s’appuient sur une supériorité militaire écrasante.
En 2023, le budget militaire des Etats Unis – 916 milliards de US$ en 2023- représentait plus que les budgets militaires cumulés des 9 autres Etats les plus dépensiers en la matière, dont la Chine, la Russie, l’Inde et l’Arabie Saoudite. Cette capacité militaire peut être déployée n’importe où puisque les USA disposent de plus de 715 bases militaires disséminées, de l’Alaska à l’extrême Orient, dans plus de 80 pays.
Ne pas banaliser, se mobiliser !
Il n’y a donc aucune raison de banaliser, bien au contraire !
Le 4 novembre, Trump n’a pas été plébiscité, son avantage en termes de voix n’étant que de 1,5%. De plus, d’après un sondage Gallup réalisé juste après son investiture, seuls 47% des sondés approuvent sa politique contre 48% qui s’y opposent.
Le 7 février, des manifestations ont eu lieu dans 50 villes des Etats-Unis. Elles représentent un autre possible face à la dictature du capital que la junte techno-fasciste de la Maison Blanche veut instaurer. Il faut les soutenir.
Paolo Gilardi